Dans « D’une île au monde » (entretiens avec Brigitte Croisier, l’Harmattan, 1993), Paul Vergès élabore le concept de « peuple banian » comme cadre de référence de l’identité réunionnaise.
Dans « Une île toute en auteurs », Baptiste et Jean-Claude Vignol (Editions du Boucan 1986) citent le texte de Paul Vergès. Ils évoquent l’image du banian : « le banian, ou ficus benghalensis, arbre sacré de l’Inde, abrite souvent à La Réunion une chapelle (koïlou) de culte hindouiste. Il a la particularité d’avoir de nombreuses racines aériennes retombant autour un tronc central et formant des piliers qui symbolisent, pour les fidèles, le lien entre la terre et le ciel et qui donnent à cet arbre une ampleur phénoménale ».
Paul Vergès souligne que « dans sa vie de tous les jours, le Réunionnais peut mesurer l’apport de l’Afrique, de la Chine, de l’Inde, de Madagascar et, évidemment et surtout, de l’Europe. Ces apports ont déjà été intégrés par tous, qui les considèrent désormais comme leur appartenant en propre en tant que Réunionnais et non pas seulement comme un emprunt. »
« Quand je prends l’image du peuple banian, c’est pour signifier la multiplicité de ses racines et son unité. Plus ces racines seront fortes et plus elles iront loin dans la connaissance des civilisations d’origine, plus ce tronc sera solide et s’élèvera ». Paul Vergès croit en la culture. Il faut approfondir la compréhension de chacune des racines qui forment ensemble l’arbre banian de l’identité réunionnaise ; il faut reconnaître l’égalité des civilisations qui y contribuent. C’est ainsi que le peuple réunionnais avancera dans l’avenir avec confiance.
Paul Vergès est conscient des menaces qui pèsent sur son projet. Il constate que toute la colonisation a essayé de réduire le peuple réunionnais à un bonzaï. La tentation est forte pour les groupes d’origine non européenne de tourner le dos à l’Europe et en particulier à la France, et de se replier sur leur propre identité. La manière la plus simple de le faire serait de se polariser sur la religion. Le développement de l’intégrisme religieux est un danger mortel. Rejeter comme allogènes les racines poussées par d’autres civilisations présentes sur l’île aurait paradoxalement le même effet que la colonisation : l’étouffement de toute possibilité de développement. « Un arbre sans racine ne peut grandir. Allons-nous vers un peuple bonzaï ou un peuple banian ? » – demande Vergès. Le modèle du peuple banian requiert une attention et une lutte de tous les instants, pour la culture.
Touchée de cette évocation du « peuple banian », belle métaphore poétique ! Mais je me permets de signaler que le livre « D’une île au monde » a été publié en 1993 et non en 1973.