La Taularde

Dans « La Taularde », Audrey Estrongo fait partager au spectateur l’expérience d’une femme soudainement plongée dans l’univers carcéral.

Rien ne prédestinait Mathilde Leroy (Sophie Marceau), une professeure de lettres bien sous tous rapports, à entrer en prison. Rien, si ce n’est son amour pour un homme condamné à quinze ans de privation de liberté. Pour permettre son évasion, elle a réussi à introduire au parloir un révolver. Il a gagné sa liberté ; elle risque deux ans de prison. Une fois sa peine accomplie, dans un an peut-être, ils pourront vivre ensemble leur amour.

L’atterrissage en prison est douloureux. Il y a la fouille corporelle (édulcorée dans le film), le dépouillement des bijoux, la coexistence avec une jeune femme, Nano Kanté (Eye Haidan), qui entend l’asservir psychologiquement et peut-être même sexuellement. Il y a surtout le vacarme incessant. Une force du film est qu’il transporte le spectateur dans un monde où nuit et jour télévision et radios sont poussées à fond, où l’on hurle d’une cellule à l’autre, où le fracas des portes que l’on ferme et des serrures qu’on verrouille rappelle à tout moment l’enfermement. « Des conversations de surveillantes, le bip d’ouverture des portes et des grilles… Je voulais que cette vie sonore très particulière soit authentique, prise sur le moment pour entendre soudain des choses très claires jaillir de cette cacophonie », dit la réalisatrice, Audrey Estrongo.

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Le film ne peut évidemment faire sentir une autre torture de la vie en prison : l’odeur permanente de sueur et de détergent. Il parvient toutefois à l’évoquer, à travers un épisode de pénurie de papier hygiénique et l’évacuation d’une cellule pour cause de toilettes bouchées.

Mathilde est comme l’émissaire du spectateur dans cette jungle. Elle, une femme normale, intellectuelle, aisée, se trouve mêlée à des détenues dont beaucoup ont vécu dans la prostitution ou la drogue, dont certaines relèvent de la psychiatrie. Elle prend patience, car cette souffrance est temporaire. Mais le plan ne semble pas se dérouler comme prévu : les mandats promis n’arrivent pas, aucune nouvelle ne lui parvient de son mari en cavale.

Mathilde étouffe et peu à peu arrive aux portes de la folie. Mais peu à peu aussi, se lie une amitié avec des camarades de détention, en particulier avec Anita Lopes (Suzanne Clément), et leur solidarité rend la captivité moins effrayante.

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Le film met en scène les turpitudes du milieu pénitentiaire : le médecin à qui on peut acheter des pilules contre la remise de bijoux ; l’auxiliaire (détenue affectée à l’entretien ou à la remise des repas) qui prétend, moyennant finances, pouvoir établir le lien à l’extérieur ; les surveillantes qui interprètent de façon absurde un règlement absurde. Mais il ne tombe pas dans le manichéisme. Chez les surveillantes, en particulier, les attitudes sont différenciées, de l’autoritarisme sec à la compassion désolée.

La surveillante chef, qui traite les détenues avec rudesse, dit à Mathilde : « tu sais, Leroy, la différence entre toi et moi ? C’est que tu sortiras de là avant moi ».

Le film est inspiré d’une histoire vraie, racontée dans le beau livre « passés par la case prison » réalisé par L’observatoire International des Prisons (OIP). S’il souffre de quelques incohérences et invraisemblances, il livre une impression sensorielle de la prison que la plupart des citoyens ne peuvent expérimenter. Comprendre par les sens l’enfer que représente une journée d’enfermement modèrerait les ardeurs des partisans du tout-carcéral.

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