La tisseuse d’Ao Po’i

Dans son roman « la tisseuse d’Ao Po’i » (Éditions Temporis, 2023), Jean-Christophe Potton prête sa plume à une visiteuse de prison qui rencontre à Fleury-Mérogis des femmes sud-américaines incarcérées pour avoir convoyé de la drogue entre leur pays et la France.

 C’est donc Mireille Ménin, assistante maternelle retraitée, qui s’exprime à la première personne. Pendant quelques mois, elle a rencontré chaque jeudi au parloir une jeune Amérindienne guaranie de Bolivie, Esperanza Brunet. Celle-ci lui a raconté sa vie, la misère, l’enfant qu’elle a eu lorsqu’elle avait quinze ans, le mariage avec un homme violent, la séparation. Elle lui a dit sa passion pour l’Ao Po’i, technique traditionnelle de tissage et de broderie pour le coton.

 Esperanza lui a expliqué qu’elle avait eu besoin de 2000 dollars pour une opération ophtalmologique de son fils et qu’un homme lui avait proposé cette somme. Il suffirait qu’elle se rende à Paris pour remettre à des amis des papiers et des objets personnels. Sa valise était chargée de cocaïne. Elle demande à sa visiteuse de faire un livre du récit de sa vie, « pour montrer aux femmes de mon pays ce qu’il ne faut pas faire ».

Fleury-Mérogis

Esperanza Brunet est retrouvée pendue dans sa cellule le 27 mai 2020. Les mois de confinement ont été terribles pour les personnes détenues, particulièrement pour les étrangères plus isolées que jamais. Elle était particulièrement déprimée : « l’auto-estime ne se crée pas par la volonté mais par la vie, avait-elle écrit ; je n’ai pas été à la hauteur de ma vie. »

 Mireille est confrontée à une contradiction. Esperanza lui a demandé d’écrire un livre narrant son expérience de « mule » convoyant de la drogue. Mais à son fils Pedro, elle a raconté une tout autre histoire : elle serait morte de maladie dans un hôpital parisien et une gentille infirmière nommée Mireya Ménine se serait occupée d’elle.

 Qui était vraiment Esperanza ? Pourquoi disait-elle qu’elle avait « d’autres chemins » ? Comment avait-elle vécu en 2019 dans le village de ses grands-parents à Huanacuno, puis dans la ville frontalière de La Quiaca entre l’Argentine et la Bolivie ? Qui avait-elle rencontré ? Son projet de monter une affaire de tissage Ao Po’i aurait-il pu aboutir ?

Sur la route de Huanacuno

Le livre promis à Esperanza ne pourra se faire qu’en se rendant sur place à la rencontre des personnes qui l’ont connue, aimée ou haïe. Mireille entreprend ce voyage avec son fils Édouard, quarante ans, à la recherche de sa propre place dans le monde.

 Pour la rédaction de « la tisseuse d’Ao Po’i », Jean-Christophe Potton s’est appuyé sur son expérience d’ambassadeur de France en Uruguay et au Paraguay. Il s’est aussi inspiré de rencontres avec Francine Lemaître, elle-même visiteuse à Fleury-Mérogis et des témoignages rassemblés par celle-ci dans son livre « on m’appelle la mule – paroles libres de femmes en prison » (Chronique sociale, 2015).

 Il est rare qu’une visiteuse ou un visiteur de prison deviennent le personnage central d’un roman. Celui-ci décrit bien la fonction du visiteur et « la face cachée de la prison. Sans ignorer la saleté, l’effritement des plâtres et le manque de lumière, mon imaginaire associe la vie carcérale au son et à l’odeur du métal ». Le livre se lit comme une enquête policière avec une forte densité humaine, celle de Mireille et Édouard, qui n’évitent pas faux-pas et maladresses, et celle de familles des hauts-plateaux andins.

Ao Po’i

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *