Martin Amis est reconnu comme l’un des meilleurs romanciers britanniques vivants. Dans « The pregnant widow » (Jonathan Cape, 2010), il évoque la révolution sexuelle des années soixante dix et ses répercussions sur un homme maintenant sur la pente du vieillissement.
Martin Amis ne craint pas la provocation. Développant le thème du « silver tsunami » brièvement évoqué dans son roman, il dit dans une interview : « il y aura une population de personnes très âgées devenues démentes, comme une invasion de terribles immigrants, puant dans les restaurants, dans les cafés et dans les boutiques. Il faudrait des cabines d’euthanasie à chaque coin de rue où l’on recevrait un Martini et une médaille ».
Le personnage de son roman, Keith Neiring, a comme lui 60 ans. Comme lui, il est angoissé par l’approche de la vieillesse, à bord d’un train filant comme une balle, où les années titubent les unes sur les autres et disparaissent. Remarquant que si les jeunes utilisent souvent le mot « cool », le mot « uncool » n’existe pas, il observe que « vieillir, c’est vraiment uncool (…) Quand on vieillit, on se retrouve à passer le casting pour le rôle d’une vie. Puis, après d’interminables répétitions, on joue finalement dans un film d’horreur, un film sans talent, irresponsable et par-dessus tout à petit budget dans lequel, comme c’est le cas dans les films d’horreur, on garde le pire pour la fin ».
« Au milieu de la quarantaine, on a sa première crise de mortalité (la mort ne m’ignorera pas) ; et dix ans plus tard, on a sa première crise d’âge (mon corps me murmure que la mort est déjà intriguée par moi) (…) Puis la cinquantaine vient et s’en va, et cinquante et un, et cinquante deux. Et la vie s’éloigne en prenant de l’épaisseur. Parce qu’il y a maintenant une énorme présence insoupçonnée dans votre être, comme un continent inconnu. C’est le passé. »
Pour Keith, le passé se concentre sur l’été 1970, alors qu’il se prépare à célébrer ses vingt et un ans. Avec son amie Lily, il est invité dans un château en Campanie par Sheherazade, la fille du châtelain. La piscine est le point focal. Les corps s’exposent et la tension érotique est exacerbée par la volonté des filles, en plein cœur de la révolution sexuelle, de se comporter comme des garçons. Keith soupire après Sheherazade, mais c’est Gloria qui s’offre à lui, le jour de son anniversaire, pour un jeu sexuel sans limite et sans amour. « Ils étaient tous à la limite de Narcisse. Ils pouvaient se rappeler comment c’était avant : le poids plus léger des individus, quand on vivait de manière plus automatique… Ils étaient les premiers à entrer dans cette mer silencieuse et ardente, où la surface est un bouclier qui brule comme un miroir. »
Amis cite en exergue du roman Alexandre Herzen : « la mort des formes contemporaines de l’ordre social devrait réjouir plutôt que troubler l’âme. Pourtant, ce qui est effrayant c’est que le monde qui s’en va laisse derrière lui non un héritier mais une veuve enceinte. Entre la mort de l’un et la naissance de l’autre, beaucoup d’eau doit couler, une longue nuit de chaos et de désolation passera. » De fait, l’été 1970 hantera Keith pendant des dizaines d’années. Il lui faudra une vie pour surmonter le traumatisme de cette période, et les trois femmes qu’il épousera à des âges différents de sa vie, étaient présentes à ce moment fondateur.
D’une lecture difficile, surtout pour un non anglophone, le roman de Martin Amis a un côté irritant. On a du mal à se passionner pour les fantasmes sexuels d’une jeunesse dorée et oisive. Pourtant, les personnages prennent peu à peu une épaisseur psychologique dans leur interaction, qu’ils soient physiquement présents au château ou que leur ombre plane, telle Violet, la sœur de Keith, vivant à sa manière la révolution sexuelle et embarquée dans une dérive fatale.
J’ai particulièrement aimé le récit de la rencontre sexuelle de Keith et Gloria, le jour de son vingt et unième anniversaire. Danseuse et artiste peintre, Gloria est une mystique à la recherche de Dieu, d’un Dieu inaccessible, inflexible et pourquoi ne pas le dire, dur. Recevoir le corps de Keith n’est pas un acte d’amour, c’est un moment absolu, hors de l’histoire. Pour Keith, chaque moment de cette rencontre est comme l’accomplissement d’un scénario déjà écrit dans ses moindres détails.
(Illustration : couverture du roman « the pregnant widow »)