Le film « La voyageuse » a valu à Hong Saang-Soo l’Ours d’Argent (prix du jury) à la Berlinade. Le réalisateur est aussi le scénariste, le directeur de la photographie, le monteur et le compositeur de la musique du film. C’est sa troisième collaboration avec Isabelle Huppert.
Iris (Isabelle Huppert) vit à Séoul, éternellement vêtue d’un cardigan vert, coiffée d’un large chapeau de paille et chaussée d’espadrilles compensées. Lorsque le spectateur fait sa connaissance, elle se présente comme une professeure de français.
Sa méthode n’a rien de conventionnel. Elle persuade ses interlocutrices, à qui elle s’adresse en anglais, de leur raconter quelque chose d’intime de leur vie. Elle rédige un texte en français sur une fiche et leur demande de le répéter au magnétophone jusqu’à épuisement.
Lorsqu’un couple de potentiels clients lui demande depuis quand elle enseigne et quelle est son expérience, elle avoue candidement qu’elle vient de commencer son activité et n’a aucune idée des résultats espérés. Car tel est bien ce qui caractérise Iris : elle vit dans le présent, aucun passé ne l’encombre, aucun avenir ne la préoccupe.
Iris aime marcher pieds nus dans le petit ruisseau artificiel d’un parc de la ville. Elle adore se faire traduire des poèmes gravés sur des pierres. Elle ne résiste pas à un verre de Makgeolli, alcool de riz laiteux apprécié par les Coréens. Elle est hébergée par In-geok (Ha Seong-guk), un jeune poète qui l’a rencontrée dans un jardin public alors qu’elle jouait du pipo tellement mal, mais avant tant de sincérité, qu’il était devenu fou d’elle. Sont-ils amis, comme le prétend Iris ? Sont-ils amants ? In-geok demandera-t-il d’Iris des explications sur son passé, comme l’exige sa mère ? Tout reste en suspens, dans un éternel présent.
Isabelle Huppert explique pourquoi elle aime travailler avec Hong Saang-Soo. « Il fait des films comme personne. […] Lorsqu’il m’a dit que j’allais jouer une professeure, je me doutais bien que je ne serai pas dans une salle de classe derrière un pupitre, donc j’ai laissé vraiment les choses se faire. Au départ, il n’y a pas de scénario, pas de personnages, pas d’histoire et à l’arrivée, il y a un film. Un film qu’il a tourné en l’occurrence en treize jours. »
À plusieurs reprises, on sent les acteurs comme gênés, embarrassés de jouer leur rôle. Est-ce la technique cinématographique de Hong Saang-Soo, qui donne un minimum d’indications et laisse les acteurs se débrouiller et improviser ? Ou bien est-ce la rencontre de deux cultures qui crée ce malaise capturé par le cinéaste ? Lorsqu’Iris claque la bise à ses futurs élèves-clients, elle le fait selon des codes occidentaux, mais avec une telle spontanéité que ses interlocuteurs restent désarmés.
On ne sait pas d’où vient Iris, où elle va, où le réalisateur entend nous emmener. Tout reste en suspens, dans l’ennui pour certains spectateurs, dans la pure poésie pour d’autres.