Dans « l’Abbé Pierre, une vie de combats », Frédéric Tellier propose un biopic d’Henri Grouès, une figure marquante du vingtième siècle connue comme l’Abbé Pierre, depuis son entrée dans un couvent de Capucins en 1931 à l’âge de 19 ans jusqu’à sa mort en 2007.
Le même acteur, Benjamin Lavernhe, incarne l’Abbé aux différents âges de sa vie. Issu d’une famille lyonnaise aisée, Henri Grouès fait vœu de pauvreté dans un ordre religieux austère. Devenu vicaire d’une paroisse de Grenoble, il aide des Juifs fuyant la persécution à passer en Suisse. Il participe au maquis du Vercors.
Au lendemain de la guerre, il est bouleversé par la misère, le froid et la faim. Il crée une communauté de miséreux qu’il nommera les compagnons d’Emmaüs. Il tente sans succès d’obtenir de l’État un milliard de francs pour créer des hébergements d’urgence. En février 1954, il lance à la radio un appel désespéré : « mes amis, au secours, une femme est morte de froid cette nuit ». Son appel provoque l’insurrection de la bonté. Ce sont 10 milliards que le gouvernement met sur la table.
L’Abbé Pierre devient une personnalité mondialement connue. Il est sollicité par la presse. On lui demande de donner des conférences, jusqu’aux États-Unis. Les Compagnons deviennent une vaste organisation. Les membres du Conseil d’administration d’Emmaüs demandent plus de rigueur dans la gestion. L’Abbé tombe gravement malade, est hospitalisé plusieurs mois en Suisse. Rétabli, il continue inlassablement son combat contre la misère, dans son rôle de « voix des sans-voix ». Il devient, jusqu’à sa mort à l’âge de 95 ans, la personnalité préférée des Français.
Le réalisateur Frédéric Tellier a choisi de montrer le caractère contradictoire du personnage. Henri Grouès est inflexible. Chef de maquis sous le pseudonyme d’Abbé Pierre, il n’hésite pas à ordonner l’exécution d’un traître. Député, il prononce des réquisitoires implacables contre ses collègues indifférents à la misère et au mal-logement. Son parti-pris pour les pauvres ne connaît pas de trêve.
C’est aussi un homme fragile. Jeune adulte, il ne supporte pas la dureté de la vie au couvent des Capucins et son supérieur lui conseille de chercher une paroisse tranquille à Lyon. Surtout, c’est un homme qui doute. Après la guerre, il avait créé à Neuilly-Plaisance un lieu accueillant des jeunes intellectuels pour des moments de retraite. Il reconnaît avoir fait fausse route et transforme ce lieu en maison pour des sans-abri.
Le film révèle ce qu’il doit à trois personnalités qui l’ont accompagné tout au long de sa vie. L’une est une femme, Lucie Coutaz (Emmanuelle Bercot), rencontrée dans la résistance, qui assure la logistique matérielle et financière de ses initiatives et n’hésite pas à l’affronter quand il fait fausse route. L’autre est Georges Legay, un ancien prisonnier qui arrive à Neuilly-Plaisance avec des pensées suicidaires. Lorsque l’entreprise Emmaüs est sur le point de sombrer sous les dettes, c’est lui qui lance l’activité de chiffonniers qui lui assurera la pérennité. La troisième personnalité est quasiment fantomatique : il s’agit de François Garbit (Antoine Laurent), un ami de lycée disparu en 1941 en Syrie, mais qui reste une référence dans les moments de doute.
En 1954, Charlie Chaplin rend visite à l’Abbé Pierre et fait un don de deux millions de francs. « Je ne les donne pas, je les rends. Ils appartiennent au vagabond que j’ai été et que j’ai incarné. » Tel est le message de l’abbé Pierre transmis par le biopic : ce ne sont pas les pauvres que l’on aide qui sont redevables ; ce sont les nantis qui leur doivent réparation.