Le récent récital d’Hugues Aufray au théâtre Fémina de Bordeaux m’a replongé en 1964. Il avait 35 ans, et moi vingt de moins.
Le chanteur évoque d’abord son amitié pour Bob Dylan. Il chante son adaptation de « the times they are changing”, “les temps changent”, dont le texte préfigurait mai 68 et s’applique aussi aux temps que nous vivons.
« Où que vous soyez, écoutez braves gens. L’eau commence à monter, soyez plus clairvoyants. Admettez que bientôt vous serez submergés et que si vous valez la peine d’être sauvés, il est temps maintenant d’apprendre à nager, car le monde et les temps changent. »
Je connecte avec l’adolescent que j’étais il y a soixante ans, lorsque je me passais en boucle sur mon électrophone Teppaz les 45 tours d’Hugues Aufray. Il incarnait un idéal de virilité : une voix mâle, la passion des chevaux. Il m’introduisait dans les grands espaces américains, guitare, harmonica, accordéon, folklore. Il parlait de l’amour, d’une fille au printemps en Normandie, de cette fille du nord qui fut son amour. Il m’emmenait à bord de navires : hasta luego, Santiano. Il parlait de liberté et de révolte : cauchemar psychomoteur.
À plusieurs reprises au cours du récital, le chanteur évoque la prison, celle où l’on enferme un noir coupable d’avoir frappé un blanc, le bagne australien dont on sort avec pour tout bagage une couverture en laine appelée Mathilda afin de survivre la nuit dehors.
Hugues Aufray parle des transhumances, titre de ce blog, dans l’une de ses chansons les plus connues, « le petit âne gris ». « Au temps des transhumances, il s’en allait heureux, remontant la Durance honnête et courageux. » Cette remontée du temps m’a fait du bien.
Le concert s’achève par la prière de Georges Brassens : « par la soif et la faim et le délire ardent, je vous salue Marie». Une forme de testament.