Dans « le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ? » (Seuil, 2021), Guillaume Cuchet s’interroge sur les raisons et les conséquences du décrochage des babyboomers de la religion catholique dans les années 1960.
La pratique de la religion catholique en France s’est effondrée ces cinquante dernières années. « Dans la France de 1965, écrit l’auteur, 94% de la génération étaient baptisés dans les trois mois après la naissance, contre environ 30% aujourd’hui dans les sept ans. » On n’ordonne plus qu’une centaine de prêtres par an, ce qui ne permet pas de faire vivre ce que l’auteur appelle « le service public de la transcendance. » Les sans-religion, que l’on désigne désormais comme les « nones » deviennent plus nombreux que les personnes affiliées à une religion.
« Il s’agit d’une rupture, d’un krach, avec tout ce que le terme suggère de brutalité et de surprise, y compris pour les spécialistes qui ne s’y attendaient guère. » Elle s’est opérée sur une génération, celle des babyboomers nés entre 1945 et 1960, « On peut se demander si, après avoir révolutionné la jeunesse le mariage, la sexualité, la parentalité, la religion, et aujourd’hui la vieillesse, ils ne finiront pas, pour terminer, en guise de cadeau de départ en quelque sorte, par révolutionner la mort elle-même. » Car tel est bien le problème que soulève Guillaume Cuchet : a-t-on encore besoin de religion aujourd’hui, et spécifiquement de la religion catholique ?
La rupture des années 1960
L’origine du krach remonte au Concile Vatican II (1962 – 1965). « Il a été en France cette réforme, sans doute nécessaire, qui a déclenché la révolution qu’elle prétendait éviter, comme jadis les états généraux dans la France de la fin du XVIIIe siècle. »
Il faut commencer par définir ce dont on parle. « Le catholicisme, écrit Cuchet, est un système complexe d’instances articulées qui comporte à la fois des doctrines, des pratiques, des dévotions, une vie liturgique, ascétique et mystique, des prédications, une littérature de piété et même un droit spécifique (le droit canon). » Il faudrait y ajouter des institutions d’enseignement, de santé ou de secours mutuel ainsi que des médias.
La religion a mauvaise presse. « Beaucoup de nos contemporains, écrit l’auteur, opposent désormais la « religion », plus ou moins synonyme dans leur esprit de dogmes, d’institutions, de contraintes, voire de violences et de crimes (pédophiliques ou autres) à la « spiritualité » qui jouit d’une bien meilleure image et qui renvoie à la transcendance, la tolérance, le ressourcement, la libre recherche en matière intérieure. La spiritualité, c’est le religieux expurgé de ses aspects mortifères. »
La revendication du « mieux vivre »
« Si la quête du sens et des raisons de vivre n’a pas disparu de notre monde, elle a été puissamment infléchie par une revendication plus modeste en apparence, mais incroyablement envahissante : celle du « mieux vivre », du « mieux être », et du « vivre plus ». Guillaume Cuchet en donne deux exemples : le succès de la méditation, une pratique du bouddhisme qui s’acclimate bien dans la culture occidentale ; le « running » ou « jogging », nouvelle forme d’ascèse qui rassemblerait environ 9 millions de pratiquants, soit à peu près le même nombre que celui de l’assistance dominicale dans les années 1960.
L’auteur est critique à l’égard de ces spiritualités, comparées aux religions. « Ce spirituel contemporain est surtout une religion ou une philosophie pour temps calme (…) À l’inverse, la religion traditionnelle, si elle est capable de l’ordinaire, est avant tout une métaphysique pour gros temps. » Il souligne la capacité des religions, en particulier le catholicisme, à susciter des vocations altruistes et, ce qui est plus précieux encore, elle donne l’endurance pour tenir le service dans la durée » Il cite en exemple les 20 000 à 30 000 laïcs qui animent bénévolement des funérailles religieuses.
Le catholicisme est confronté à un hiatus de plus en plus criant avec les valeurs de la société contemporaine. Sur des sujets comme la contraception, l’homosexualité, la fin de vie, et, dans sa propre organisation, la place des femmes, il se trouve à contre-courant. Plus profondément encore, des dogmes comme l’existence de l’enfer (où basculeront les non-élus, en plus grand nombre que les élus) sont inacceptables pour nos contemporains.
Attendre que le temps fasse son œuvre
L’attitude de l’Église face à ces défis, écrit drôlement l’auteur, s’inspire du ministre radical-socialiste Henri Queuille : « il n’y a pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre. » L’Église ne revient pas sur l’Encyclique Humanae Vitae de Paul VI, qui prohibait le recours à la contraception. Mais la désobéissance est si massive parmi les fidèles, que la prohibition finit par ne plus devenir un sujet. « À partir d’un certain niveau d’infraction, les problèmes peuvent se régler d’eux-mêmes, ou presque. Il suffit d’attendre que le temps fasse son œuvre. »
C’est ici que Guillaume Cuchet répond à la question posée sur l’avenir du catholicisme en France. Le christianisme n’a pas les promesses de la vie éternelle. « On ne pourra pas vivre à crédit indéfiniment. » Il le regrette, il aimerait que, à l’approche de leur mort inéluctablement proche, les babyboomers élevés dans le catholicisme raccrochent, inventent une nouvelle manière d’être catholique.
Mais il doit bien constater que « les milieux qui ont joué le plus franchement et avec le plus d’enthousiasme le jeu de l’ouverture sont aussi souvent ceux qui ont connu, paradoxalement, les plus faibles taux de conservation et de transmission intergénérationnelle de la foi, nettement moins bons que les milieux plus conservateurs » La ferveur des catholiques libéraux est plus tiède aussi que celle des musulmans français. « En enterrant leurs grands-parents, les descendants enterrent souvent aussi symboliquement le christianisme dans leur famille. » La probabilité que se produise un renouveau catholique est donc très faible.
Le fabuleux destin des babyboomers
Plusieurs pages du livre sont consacrées aux babyboomers, ceux qui précisément enterrent la religion catholique avec leurs ancêtres. « Volens nolens, « le fabuleux destin des babyboomers » finira tragiquement (…) Les babyboomers seront les premiers, dans notre histoire démographique, à étrenner ce système des départs groupés par temps calme, avec les émotions qui vont avec (…) Puisque la mortalité finale d’une génération reste, jusqu’à nouvel ordre, de 100%, il va se produire sous nos yeux – et les choses ont d’ores et déjà commencé – un rattrapage de la mort d’autant plus spectaculaire que les babyboomers sont plus nombreux et que les décès seront plus concentrés dans le temps. »
Réinventeront-ils la mort, en la rendant « légère » par le recours extensif à l’euthanasie ? La religion catholique va-t-elle être supplantée jusque dans cette extrémité ?
Livre. René Poujol, un catholique sous bénéfice d’inventaire
À 20 ans, René Poujol imaginait un roman dont le héros n’acceptait d’héritage chrétien que « sous bénéfice d’inventaire ». Cinquante ans après, son roman, jamais écrit, s’est confondu avec l’histoire de sa vie et celle de sa génération. Dans ce livre, « Catholique en liberté », il analyse au scalpel la crise actuelle de l’Église.
Ouest-France
François VERCELLETTO.
Publié le 31/10/2019 à 20h00
C’est, sans doute, aujourd’hui, la meilleure analyse de la crise actuelle de l’Église. Parce qu’elle est l’œuvre d’un honnête homme, catholique dans l’âme, qui maîtrise parfaitement son sujet.
À double titre. Personnel, ce chrétien engagé se « passionne pour la vie de l’Église » depuis, avoue-t-il, le « jour de sa confirmation ». Sur le plan professionnel, comme observateur attentif, journaliste et ancien directeur de la rédaction de Pèlerin.
Retraité actif, blogueur, René Poujol a toujours la foi. Donc, il (se) pose des questions. Il interroge ici aussi bien les dérives cléricales d’une institution qui prétend détenir la vérité que l’impasse de ses frères catholiques tentés par un repli identitaire ou encore la cécité de ses concitoyens indifférents au message évangélique.
La plume alerte et sans concession est toujours bienveillante. « Le propos de ce livre se veut de conviction. » C’est aussi, et surtout, le cri du cœur d’un homme libre qui a cherché toute sa vie à « découvrir les richesses » de sa « propre tradition religieuse », « derrière la gangue des ajouts successifs ».
Un inventaire décapant qui ranime « la flamme ardente de l’Évangile ».
Catholique en liberté, René Poujol, Salvator, 224 pages, 19,80 €.
« J’ai voulu dire »
« À travers les pages de ce livre, j’ai voulu dire à mon Église qu’au fil des siècles, et aujourd’hui encore, trop de centralisme, de cléricalisme, de dogmatisme et de moralisme avait fini par étouffer la flamme ardente de l’Évangile et décourager nombre de personnes « de bonne volonté » qui s’en étaient allées !
À mes frères chrétiens, j’ai souhaité partager ma conviction que marcher fraternellement aux côtés de nos contemporains me semblait plus urgent que de leur faire sempiternellement la morale, et pour nous, de nous accepter différents avant de nous intenter de faux procès en infidélité.
Aux citoyens de mon pays, dont je partage le destin, j’ai eu envie de dire que nous, catholiques, ne revendiquions aucun monopole de la vertu ou de la générosité, mais que croire au Ciel ne nous disqualifiait pas non plus pour prendre publiquement la parole dans les débats qui engagent notre avenir commun et la quête de sens de notre peuple. »
« Aujourd’hui, je pense pouvoir conclure, avec le théologien Yves Congar, que s’agissant du cœur même de la foi à laquelle je reste attaché, « la seule façon de dire la même chose, dans un contexte qui a changé, c’est de le dire autrement ». Et que ce combat est sans fin ! »
https://www.ouest-france.fr/culture/livres/livre-rene-poujol-un-catholique-sous-benefice-d-inventaire-6590540