Le premier roman du Zimbabwéen Tendai Huchu, the Hairdresser of Harare (le coiffeur d’Harare, Weaver Press, 2010), raconte une histoire intéressante et rend vivant le contexte particulier du Zimbabwe d’aujourd’hui.
Tendai Huchu est né au Zimbabwe en 1982. Il vit maintenant à Edimbourg où il exerce le métier de pédicure. Sa passion de la littérature lui est principalement venue de la lecture de Dostoïevski. Il a tenu à ce que son premier roman, « The Hairdresser of Harare », soit publié par un éditeur zimbabwéen.
On parle peu du Zimbabwe, un pays de douze millions d’habitants que les agences de rating du risque politique placent dans la catégorie des pays à très haut risque. Lorsque se déroule l’action du livre, l’hyperinflation sévit ; personne ne se déplace plus avec un portefeuille, car le moindre achat requiert un sac de billets. La mise en place en 2009 d’un gouvernement de coalition entre Robert Mugabe, leader indépendantiste au pouvoir depuis 1980 et son premier ministre Morgan Tsvangirai a permis de ramener l’inflation autour de 6% par an, mais la corruption et la violence politique continuent à sévir.
Un « kombi » (taxi-brousse) délabré est verbalisé à un contrôle routier. « Je vous en supplie, ne prenez pas ma voiture », dit le chauffeur. « Je me contente d’appliquer la loi », dit le policier en joignant les mains. « S’il vous plait, il y a sûrement quelque chose que vous pouvez faire ». La voix du chauffeur était cassée. « Aidez-moi à vous aider » dit l’officier avec une voix d’une totale tranquillité. C’était l’invitation qu’attendait le chauffeur. Il savait quoi faire. Il prit une large liasse de billets de banque et les remit au policier qui les empocha dans un mouvement d’une lenteur naturelle. « Je ne fais cela que par gentillesse ; il faut que vous fassiez réparer les problèmes de votre voiture. »
Une milice aux ordres de Robert Mugabe et de ses ministres sème la terreur : les « War Vets », les anciens combattants. Sur un simple appel téléphonique, ils peuvent passer à tabac des victimes désignées, détruire leurs biens et les faire passer de vie à trépas.
A Harare, on ressent une atmosphère d’amitié, de violence, d’innovation, de pauvreté, de joie, et surtout de désespoir, le sentiment de se trouver au fond d’un puits sans moyen de s’en sortir. Pourtant, les gens vivent leur vie. L’auteur dit sa surprise de constater combien, avec seulement 10% de la population ayant un emploi, les rues sont pleines de gens se cognant les uns aux autres dès le début de la matinée. Des vendeurs détaillent des bonbons de menthe ou des cigarettes à l’unité.
C’est dans ce pays où vivre relève de la survie que Vimbai exerce son métier de coiffeuse dans le salon chic de Mme Khumalo. Issue d’un milieu modeste, Vimbai est fascinée par la richesse et le pouvoir. Elle a été séduite et violée par un homme de la haute société d’Harare, qui l’a quittée lorsque sa petite fille, Chiwosino, est née. Sa famille l’a rejetée pour avoir un enfant hors des liens du mariage. Sa vie se partage maintenant entre le salon de coiffure et sa maison où Chiwosino est laissée aux soins d’une servante, Maidai.
Vimbai est la meilleure coiffeuse du salon de Mme Khumalo. Elle a un secret : « votre cliente doit quitter le salon en se sentant dans la peau d’une femme blanche ». Sa vie se complique le jour où est recruté un coiffeur, Dumisani. Celui-ci est un homme confiant et sûr de lui, un coiffeur incroyablement talentueux. Il a un secret : faire en sorte que ses clientes, en sortant du salon, se sentent dans la peau d’une femme, tout simplement. Vimbai est à la fois paralysée par la jalousie et fascinée par cet homme. Elle a besoin d’argent, il a besoin d’un logement. Dumi s’installe chez Vimbai. Bien vite, il prend le rôle de père de substitution pour Chiwosino et, à l’égard de sa famille, présente Vimbai comme sa fiancée.
Dumisani est fils d’un entrepreneur immensément riche, parti de rien : « j’ai commencé par aller en Afrique du Sud et de revenir avec des postes de radio et de télévision que je vendais avec un profit. De là, j’ai ouvert une petite boutique d’alcools à Mukafose et une autre à Mabvuku. J’étais toujours aux aguets à la recherche de la prochaine opportunité. Il faut garder son oreille au ras du sol, sentir le pouls de la nation, connaître les bonnes personnes à qui parler. J’ai grandi, construit des boutiques dans des zones rurales en croissance où personne ne voulait aller ». Vimbai est immédiatement adoptée par la famille.
Mais des non-dits demeurent : pourquoi Dumi a-t-il été coupé de sa famille ? Pourquoi son retour avec Vimbai est-il accueilli avec tant de joie ? Pourquoi la présente-t-elle comme sa fiancée sans même en avoir parlé avec elle ? Pourquoi se refuse-t-il à la relation sexuelle qu’elle lui offre ?
« Le Coiffeur d’Harare » est un excellent roman, qui tient le lecteur en haleine et lui fait percevoir la réalité d’un pays dominé par une élite immensément riche, idéologiquement nourrie par un discours anticolonialiste mais secrètement à la recherche du British way of life.