Dans « le genou de Lucy » (Odile Jacob, 2000), Yves Coppens raconte l’histoire de l’humanité, l’histoire de la paléontologie, sa propre histoire scientifique, et l’histoire mythique de « Lucy », la pré-humaine vieille de plus de trois millions d’années qu’il contribua à découvrir en 1974.
C’est à la boutique de Lascaux II que j’ai acheté ce grand classique des sciences préhistoriennes. C’est dire mon gouffre d’ignorance : venu admirer des œuvres d’art rupestre produites il y a « seulement » 17 000 ans, je me suis procuré un livre dont le point focal est un squelette vieux de 3.180.000 d’années et dénommé « Lucy » d’après un succès des Beatles !Yves Coppens fait remonter l’origine de l’humanité à une catastrophe climatique vieille de 4 milliards d’années, lorsque survint un pic d’aridité qui assécha la forêt à l’est du grand rift africain. À l’ouest du rift, dans un milieu resté forestier et tropical, les primates restèrent bipèdes et arboricoles ; à l’est, ils devinrent simplement bipèdes. L’articulation du genou de Lucy est très solide, ce qui atteste de sa bipédie. Entre 3 500 000 ans et 2 500 000 ans, l’homme devint conscient, développa le langage, produisit des outils.
Comment mesurer des événements si lointains ? On peut se faire si l’on dispose d’une carotte de terrain offrant une superposition de couches volcaniques et sédimentaires. La datation repose sur le principe de désintégration d’un élément radioactif en un autre (uranium / thorium, rubidium / strontium, argon43 / argon39). On complète le travail en comparant des déchets végétaux et animaux avec ceux d’autres gisements.
Parmi les surprises qu’offre le livre, celle qu’il emprunte à André Leroi-Gourban. Il « avait montré de manière ingénieuse comment progressait l’efficacité des outils pour toute une série de périodes successives données, en mesurant les longueurs additionnées des tranchants, donc la partie active – des silex taillés dans un kilo ; il était parvenu ainsi au chiffre de 10 centimètres de tranchant pour un kilo de silex taillés de 2 000 000 d’années, 40cm pour un kilo de silex taillés de 500 000 ans , 200cm pour un kilo de silex taillés de 50 000 ans, 2000cm pour un kilo de silex taillés de 20 000 ans et, résultat à peine croyable, 7000cm pour un kilo de microlithes taillés de 10 000 ans. » L’accélération du progrès technologique, vertigineuse depuis deux siècles, suit donc une courbe exponentielle depuis des centaines de milliers d’années !
Yves Coppens mène une croisade pour réhabiliter l’homme de Neandertal, le premier humain découvert par des scientifiques, en 1829. Celui-ci est réputé laid, bête et méchant. Or, dit Coppens, lorsqu’il vivait en Europe il y a 50 000 ans, il maîtrisait la pierre de manière admirable, collectionnait fossiles et minéraux, s’ornait de bracelets, colliers, chevillières, enterrait certains de ses morts qu’il entoure de multiples attentions.
Citons enfin l’anecdote racontée par Yves Coppens. Un film documentaire sur la découverte de Lucy fut intitulé « Yves, Lucy et les autres ». Une documentaliste téléphona au secrétariat de Coppens pour demander « une photo des deux squelettes ». Comme quoi, Yves Coppens, quatre-vingts ans aujourd’hui, n’atteindra jamais la notoriété de la petite hominidée de petite taille (1m à 1m20), de poids modeste (20 à 25 kg) à la démarche chaloupée qu’il découvrit un jour de novembre en Éthiopie !
Une réflexion sur « Le genou de Lucy »