Alors que la campagne contre la « théorie du genre » bat son plein, les statistiques démontrent que le suicide a un genre : masculin.
Dans l’Union Européenne, on a enregistré 10,2 suicides en 2010 pour 100.000 habitants. La tendance est à la baisse. Ce chiffre était de 11,8 dix ans plus tôt. Les Français sont nettement plus enclins à se donner la mort que leurs voisins. Le taux est de 14,7 dans notre pays contre 6,4, par exemple, au Royaume Uni.
S’il est un point commun à tous les pays, c’est que le suicide touche surtout les hommes. Ils sont trois fois plus nombreux à se suicider en France que les femmes. En Grande-Bretagne, des études récentes montrent que le « fossé de genre » s’est accru ces dernières années, et que les hommes entre 40 et 44 ans sont les plus susceptibles de mettre fin à leur vie.
Une étude menée par une ONG, Samaritans, montre que les hommes au bas de l’échelle sociale sont davantage à risque. Dans The Guardian du 20 février, Ally Fogg cite la directrice de la recherche de cette ONG, Clare Wyllie : « ils grandissent en s’attendant à ce que, lorsqu’ils seront d’âge mûr, ils auront une femme qui s’occupera d’eux et un emploi à vie dans une activité masculine. En réalité, ils découvrent parfois qu’ils arrivent au milieu de leur vie dans une situation très différente. La société a cet idéal masculin que les gens sont censés satisfaire. Cela a beaucoup à voir avec le fait d’être celui qui fait bouillir la marmite. Quand les hommes ne sont pas en conformité, cela peut être vraiment dévastateur pour eux. »
Ally Fogg invite à aller plus loin. Elle met en cause le modèle culturel du mari et du père qui est là pour assurer et protéger et, au-delà même de ce modèle, le conditionnement machiste que l’on fait subir aux petits garçons : un homme, ça ne pleure pas même lorsqu’il souffre de moquerie et d’humiliation. « Ces valeurs sont directement impliquées dans la réticence des hommes à chercher de l’aide et du soutien, que ce soit auprès d’amis ou de professionnels, et à préférer l’automédication par l’alcool ou les drogues, avec toutes les conséquences que cela comporte pour les carrières, les relations, l’isolement social, l’absence de logement, dont on sait qu’ils sont tous des facteurs-clés expliquant le suicide. »
Il est tentant de faire un rapprochement avec un autre « fossé de genre », encore plus frappant. Les femmes représentent seulement 3.6% de la population carcérale. Les hommes seraient-ils naturellement plus vicieux et violents que les femmes ? Quel est le poids des conditionnements qui, dans la grande misère, les amènent à se penser eux-mêmes comme des ratés et, faute d’oser se confier, à basculer dans les paradis artificiels, la délinquance et le crime ?
Un courant de pensée affirme que l’on est allé trop loin dans le combat contre les préjugés sexistes et qu’il est temps de réaffirmer les valeurs propres des genres masculin et féminin, en particulier dans l’éducation. Les statistiques du suicide et de l’emprisonnement montrent pourtant que la tâche à accomplir pour donner des chances égales aux garçons et aux filles est immense, et que ce travail bénéficie aussi à celui que l’on désignait comme « le sexe fort ».