Le manifeste mondial d’anciens détenus

En mars 2023, seize anciens détenus se sont réunis en Afrique du Sud sous l’égide d’Incarceration Nations Network pour élaborer la charte d’un mouvement appelé « The global freedom fellowship », les Camarades de la liberté à l’échelle mondiale.  

Quatre participants venaient d’Afrique du Sud, quatre des États-Unis. Les autres pays représentés étaient le Kenya et le Nigeria ; l’Argentine, le Brésil et le Salvador ; les Pays-Bas, la République Tchèque et le Royaume-Uni.

Leur manifeste entend répondre à une question : qu’est-ce que les parties prenantes doivent savoir des prisons, des personnes qui y sont et de celles qui en reviennent ? Les parties prenantes sont tout le monde en général, les décideurs politiques, les ONG, les employeurs et les agents du service pénitentiaire. Le texte résulte d’un travail collectif ; il est enrichi par des témoignages individuels.

Que doit savoir tout le monde ?

Principalement que les personnes incarcérées sont des produits de la société, de l’inégalité des revenus et des opportunités, de défaillances du système qui font que des gens font de mauvais choix. Les prisons génèrent de la souffrance physique et émotionnelle avec des traumatismes durables. Les gens traumatisés engendrent des traumatismes, les gens guéris guérissent les gens.

Certes, il y a des gens qui ont changé leur vie en prison. Mais les auteurs invitent à ne pas utiliser cela comme un argument en faveur de la prison, parce que la prison ne devrait pas être l’endroit idéal pour mettre de l’ordre dans sa vie – cet endroit devrait être la société. Le manifeste cite ce témoignage du Royaume-Uni. « La prison m’a simplement donné l’espace pour respirer. Quand on est en fuite, quand chaque jour est une lutte pour la survie, on n’a pas le temps de regarder, de faire une pause. Alors, comment créer des espaces où l’on puisse faire une pause, respirer et se regarder ? Les gens riches font des retraites. Où est ma retraite ? Sous ma capuche ? Où est mon espace ? »

Les auteurs osent une affirmation audacieuse. « Les gens qui vont en prison sont des avant-gardes qui, une fois qu’ils sont trouvé le but de leur vie, peuvent être les plus grands leaders, parce qu’ils ont appris des situations difficiles. Ils ont le potentiel de construire le changement et d’avoir un impact sur le monde parce qu’ils sortent des sentiers battus et des normes de la société (…) Investissez sur nous en tant que leaders ».

Que doivent savoir les décideurs politiques ?

« Trop de vos politiques, lit-on dans le manifeste, ne sont pas guidées par la recherche scientifique. Rien ne prouve, par exemple, que plus les conditions sont mauvaises, plus la peine d’une personne est longue, meilleure sera la société. En fait, il y a beaucoup de recherches qui prouvent le contraire. La liste est longue. Nous exigeons une pratique fondée sur des données probantes. »

Le manifeste appelle à investir le  budget judicieusement et proportionnellement : « investissez dans l’éducation des gens et dans les programmes, pas dans de plus grandes clôtures et des bâtiments à haute sécurité. »

Il faut, lit-on dans le manifeste, « investir massivement dans la réinsertion des personnes sortant de prison (…)  comme un investissement dans la sécurité publique ». Les auteurs font plusieurs recommandations, en particulier le droit à l’oubli des condamnations dans les dossiers de demande d’emploi.

Invitation à la réunion de Global Freedom Fellowship de 2024

Que doivent savoir les ONG ?

Le manifeste met en garde les ONG contre le risque qu’elles instrumentalisent les témoignages de détenus pour leur recherche de financements. Il les incite à ne pas faire des détenus des fétiches ou des symboles. « Toutes les personnes ayant une expérience vécue ne sont pas des experts. Agir autrement, c’est nous traiter avec condescendance ».

Le manifeste appelle les ONG agissant dans le domaine pénal à inclure au moins deux anciens détenus dans leur conseil d’administration, avec pouvoirs de décision.

 

Que doivent savoir les employeurs ?

« Sachez qui nous sommes : certains des meilleurs employés que vous puissiez trouver. Nous travaillons dur. Nous sommes dévoués à ce travail. Nous avons un sentiment de loyauté, d’obligation et de gratitude pour le fait que vous nous ayez donné une opportunité (…)  Nous avons des compétences transférables, y compris notre expérience de travail en prison (…) Le fait d’avoir été incarcéré n’a aucune incidence sur notre intelligence, notre compétence ou notre fiabilité. »

 

Que doivent savoir les agents du service pénitentiaire ?

« Bien qu’en prison, nous ne sommes pas moins des êtres humains. Nous ne sommes pas nos crimes (…) Les personnes incarcérées sont des personnes vulnérables. Nous avons souffert et vécu des traumatismes. Nous n’avons pas besoin d’être punis davantage : la vie s’en est chargée. Soyez compatissants. »

« La sécurité de la société est entre vos mains. Vous pouvez avoir un impact profond. Soyez passionné par le changement. Prêchez par l’exemple. Vous pouvez être un constructeur ou un destructeur selon la façon dont vous nous traitez. Vous gérez le potentiel humain. Donnez-nous de l’espace pour grandir, explorer et bénéficier de votre soutien (…)

Parlez-nous. Au lieu de vous engager dans la sécurité traditionnelle, engagez-vous dans la sécurité en société, ce qui signifie non seulement ouvrir et fermer les cellules, mais humaniser la sécurité qui vient de l’établissement de liens avec les gens. Créer des programmes qui favorisent ce lien et nous permettent d’interagir, que ce soit dans une salle de classe ou sur un terrain de sport. »

3 réflexions sur « Le manifeste mondial d’anciens détenus »

  1. « Bienheureux celui qui connaît l’adresse de la prison de sa ville et qui refuse de penser que ceux qui la peuplent, doivent y rester et y croupir. » (Guy GILBERT in « Aventuriers de l’amour » – édition Stock 1986)

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