Le marchand de passés

« L’imposteur » de Javier Cercas raconte l’histoire véridique d’Enric Marco, qui s’était fabriqué un passé de résistant et de déporté. Dans « le marchand de passés », écrit en portugais en 2005, le romancier angolais José Eduardo Agualusa raconte celle d’un bouquiniste de Luanda qui vend à ses clients un passé glorieux qu’ils pourront transmettre à leurs enfants (Éditions Métailié, 2010 pour la traduction française).

« La mémoire est un paysage contemplé d’un train en mouvement ». Il y a des choses qui se passent sous nos yeux, nous savons qu’elles ont réelles mais elles sont loin, nous ne pouvons pas les toucher. Certaines sont déjà si loin, et le train avance si vite, que nous n’avons pas la certitude qu’elles se sont réellement passées.

Félix Ventura, noir albinos de Luanda, se dit généalogiste. Sur sa carte de visite, on lit : « assure à vos enfants un passé meilleur ». Ses clients sont des entrepreneurs, des ministres, des généraux, bref des gens avec un futur assuré. Il manque à ces personnes un bon passé, des ancêtres illustres, des parchemins. Félix leur vend un passé nouveau. Il leur trace un arbre généalogique. Il leur donne des photos de leurs grands-parents et arrière-grands-parents. Il leur vend un rêve simple : descendre de personnages illustres comme Machado de Assis, Cuz e Sousa ou Alexandre Dumas.

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Couvertures du marchand de passé en plusieurs langues

Félix vend ainsi un passé nouveau à un inconnu qui revient en Angola après des années d’errance comme photographe de guerre. L’étranger, devenu José Buchanan par les mains de Félix, se pique au jeu et va à la recherche de son père et de sa mère inventés, dans leur village présumé et jusqu’à New York et au Cap.

Félix tombe amoureux d’Ángela Luz, jeune femme elle aussi retournée récemment au pays. Ángela est photographe et voyage pour collectionner les ciels et leur lumière : « à Lisbonne, à la fin du printemps, la lumière se penche sur les maisons, et elle est blanche et humide, un peu salée. » Le corps d’Ángela Luz est marqué de cicatrices. Son passé absent et sombre aurait-il quelque chose à voir avec celui de « José » ?

Félix s’est inventé un passé d’enfant heureux : « la pluie avançait à travers du ciel illuminé et nous courions en sautant au-devant de cette eau grosse, très propre, buvant le parfum de terre mouillée (…). Nous ne sommes heureux, vraiment heureux, que lorsque c’est pour toujours, et il n’y a que les enfants qui habitent le temps dans lequel les choses durent pour toujours. »

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José Eduardo Agualusa

Un ministre commande à Félix une biographie avantageuse. Le généalogiste lui invente une filiation avec Salvador Corréla, brésilien qui s’opposa aux Hollandais en Angola. Pas de chance ! Le lycée Corréla a été rebaptisé «Mut Ya Kevlar ». Félix propose au ministre de le faire descendre de ce dernier plutôt que de Corréla. Le ministre est séduit par sa présumée ascendance brésilienne, et se promet de faire rebaptiser le lycée.

Le récit est écrit par le margouillat qui vit, depuis des années, pendu aux murs de la maison de Félix, dormant le jour, chassant les insectes la nuit, témoin silencieux de ce qui se passe. Le margouillat a lui aussi un lourd passé : il est la réincarnation d’un homme mort après une longue vie insipide passée dans l’ombre de sa mère. Dans son corps de reptile, il apprend à vivre, à aimer et à mourir.

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