Le nouveau pouvoir

Dans son court essai intitulé « le nouveau pouvoir », Régis Debray entend donner des clés pour comprendre la manière dont fonctionne le pouvoir né de l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République.

Pour Régis Debray, ce qui caractérise le nouveau pouvoir est qu’il est pétri de culture protestante, par opposition à une culture politique française imprégnée de machiavélisme.

En quelques années, le politicien traditionnel « florentin » s’est trouvé disqualifié. Ses caractéristiques : « cacher son jeu, manipuler les alliés, fréquenter les malfrats, lancer de fausses promesses, liquider ses rivaux, jeter au panier ses premiers soutiens, calomnier ses adversaires ».

Le politicien traditionnel vivait dans un « douloureux clair-obscur où, depuis au moins trois mille ans, le sublime côtoie l’infâme. » Sa vie privée, son rapport à l’argent relevaient d’une zone sombre où il était malséant de mettre son nez. Or, voici qu’on lui demande de rendre des comptes. « Et chaque présumé coupable de se récrier : « tout ce que j’ai fait dans ma vie professionnelle est légal, public et transparent. » Il fut un temps où l’on se fâchait d’être taxé de transparent, soit d’insignifiant ; et pis encore, d’être qualifié d’innocent, soit d’idiot. »

Le mot clé de la présidence de Macron est donc la transparence. Ce sont des managers qui ont pris le pouvoir. Ils décident sur des données chiffrées, incontestables. Ils ne jurent que par l’accord librement négocié, de gré à gré, du bas en haut de l’échelle sociale, quelle que soit l’inégalité des forces en présence. « Nous sommes témoins de l’arrivée aux manettes du management, qui s’est donné pour tâche de nettoyer le terrain de ses résidus, rentes, statuts, corporations, qu’il s’agisse des notaires ou des ouvriers. »

Rappelant qu’Emmanuel Macron a été l’élève du philosophe protestant Paul Ricoeur, Régis Debray fait découler son idéologie personnelle du protestantisme. « Les pays issus de la Réforme, écrit Régis Debray, ont un avantage sur leurs voisins, plus arriérés : ils ne mettent pas de volets aux fenêtres. »

Pour un protestant, le salut ne réside pas dans l’adhésion à un dogme ou à une institution, mais dans la confrontation d’interprétations différentes des Écritures. « Souple fluide, délocalisable et déterritorialisée, cette religion sans diocèse réduit à zéro les frais d’itinérance spirituelle. » Ou encore : « Protestantisme et multiculturalisme ne font qu’un. »

Le vieux monde politique était assis sur « la distance, l’opaque et le surplomb ». La vision managériale de la politique que développe Emmanuel Macron repose au contraire sur la croyance en un monde limpide dans lequel chacun, du haut en bas de la société, a accès à l’information nécessaire pour passer des contrats avantageux.

Paul Ricoeur (1913 – 2005) en 2003

Ceci relève à la fois, pour reprendre les termes de Ricoeur, de l’éthique de conviction (« on y arrivera » !) et de l’éthique de responsabilité (« on négocie des compromis pour y arriver »). Il y a trois siècles, des colons européens protestants ont traversé l’Atlantique. Leurs valeurs ont aujourd’hui franchi l’océan à rebours et inspirent les élites européennes, celles de la France d’en haut, minoritaire, branchée sur le grand large.

L’arrivée intempestive dans l’appareil d’Etat d’hommes et de femmes imprégnés de l’idéologie managériale dérivée, selon Debray, d’une religion protestante laïcisée, ouvre dans l’appareil d’État un espace nouveau. Ils prétendent, en s’attaquant aux rentes de situation, remettre en service l’ascenseur social. Y parviendront-ils ?

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