« Le Passé », film d’Asghar Farhadi, plonge le spectateur au cœur d’un drame familial.
Dès la première séquence du film, on comprend qu’il s’agit d’incommunication. Marie (Bérénice Béjo) accueille à l’aéroport son ex-mari, venu de Téhéran à Paris pour régler les formalités de son divorce d’avec elle. Ils sont séparés par une cloison en verre et communiquent par gestes. Plus tard, en sortant du parking en marche arrière sous la pluie, Marie manque d’emboutir une autre voiture : sur la vitre du hayon balayée par l’essuie-glace s’inscrit le générique du film : « Le Passé ». Un passé dangereux dont il vaut mieux ne pas s’approcher.
Marie habite à Sevran une bicoque en bordure de voie ferrée où tout va à vau-l’eau. L’ex-mari, Ahmad (Ali Mosaffa), croyait être hébergé à l’hôtel, mais c’est chez elle, là où il a vécu plusieurs années, que Marie a décidé qu’il logerait. Il arrive en pleine scène d’hystérie. Marie hurle contre Fouad (Elyes Aguis), un petit garçon de dix ans fils de Samir (Tahar Rahim), son nouveau compagnon.
Ce qui met Marie sur les nerfs, c’est l’attitude d’hostilité systématique de Lucie (Pauline Burlet), sa fille adolescente, née d’une union d’avant Ahmad. Si Marie s’est arrangée pour qu’Ahmad loge chez elle et non à l’hôtel, c’est dans l’espoir qu’il parle avec Lucie et sache ce qu’elle a dans la tête. Malgré l’ambiance psychotique de la maisonnée, malgré la présence de celui qui l’a remplacé auprès de Marie, Ahmad s’acquitte de cette tâche avec un calme tout oriental. Il s’attaque aux mensonges sous-jacents au mal-être familial.
Sa tâche est compliquée. Pourquoi Céline, l’épouse de Samir plongée dans le coma, s’est-elle suicidée ? Etait-elle au courant de la liaison de Samir et Marie ? Si c’est le cas, qui l’a mise au courant ? Ahmad croit en la force de la vérité. Il ne doute pas qu’il vaut mieux crever l’abcès que crever à petit feu, tout au long de la vie, de culpabilité et de frustration pour des paroles non prononcées. Mais ne risque-t-il pas de tout embraser et, en repartant pour Téhéran, de ne laisser à Sevran qu’un champ de ruines ?
Ahmad tente d’expliquer à Marie pourquoi il l’a quittée il y a cinq ans, mais celle-ci veut oublier le passé. Samir visite Céline sur son lit d’hôpital. Il lui fait sentir son parfum et une larme coule sur la joue de la comateuse. Le passé revient, sous une forme plus primitive que le langage, comme si celui-ci était voué à la stérilité.
Ce film m’a dérangé, principalement en raison de la violence dont les enfants sont victimes, directement du fait de la fureur aveugle des adultes ou indirectement en étant témoins involontaires de leurs explosions de haine. La succession de rebondissements dans la mise à jour de la vérité n’est pas totalement convaincante et nuit à l’épure des sentiments. On souffre de l’absence d’humour. On regrette la rareté des gestes d’affection dans un huis-clos où dominent gifles et empoignades.
Les plans sont cadrés au millimètre près. Les acteurs sont habités par leurs rôles, y compris le petit Elyes Aguis qui exprime à la fois une inconsolable souffrance et une irréductible ingénuité. Si « Le Passé » laisse le spectateur plutôt déprimé, il porte la marque d’un metteur en scène de talent et de très grands acteurs.