L’envers de la peau

Dans “O avesso da pele” (l’envers de la peau), roman publié en 2020 et non encore traduit en français, Jeferson Tenório raconte le deuil d’un professeur assassiné à Porto Alegre (Brésil) lors d’un contrôle de police parce qu’il était noir.

 Le point de départ du roman est l’assassinat du professeur Henrique Nunes devant l’école où il enseignait, sous les balles d’un policier habité par la crainte des noirs. Eût-il été blanc, il aurait échappé au contrôle de police qui lui fut fatal.

 Pedro, le fils d’Henrique, entreprend de rendre hommage à son père en narrant sa vie. Il raconte l’enfance de celui-ci dans la pauvreté, l’absence de père, la violence familiale qui, lorsqu’il a douze ans, lui provoque des douleurs au ventre. Il raconte qu’Henrique rêvait d’une autre vie, de devenir architecte. « Une vie plus confortable, moins troublée et hostile. Alors tu ouvres le congélateur, et il est de nouveau vide. » « Vivre devint une question d’éviter la douleur à n’importe quel prix. Une sorte d’incarcération volontaire, tu deviens assailli jour après jour par la peur de l’inconfort. »

Porto Alegre

Henrique est un taiseux. Il craint de parler, de s’exposer. Cela lui vient de l’enfance, quand on lui enjoignait de ne pas attirer l’attention des blancs. Lorsque, jeune adulte, il fréquente une jeune fille blanche, la gêne des passants dans la rue l’amuse, sa fiancée et lui défient ensemble la société hypocrite. Mais la lune de miel ne dure pas. Il est renvoyé à sa condition de noir. Il épousera une noire. Leur mariage sera un enfer.

 Pour tenter de le sauver, ils consultent chacun un psychologue, qui organisent une séance conjointe de médiation. Henrique, à son habitude, se tait, ce qui transforme la rencontre en désastre. « Tu observais les thérapeutes. Tu pensais qu’ils ne savaient rien de vous. Ils ne connaissaient pas votre tumulte vital. Ils étaient blancs. Ils venaient de la classe moyenne. Et ils avaient une vision limitée du monde. Ils ne comprenaient pas ce qui se passait là. »

 La vie d’Henrique Nunes est terne au point de paraître ratée. Il se sent « invisible, un être oublié entre le tableau et la craie. » Il a plus de cinquante ans. Il enseigne dans un collège à des adolescents difficiles. Ses cours de littérature sont un chaos, aucun élève n’y prête attention. Soudain, un déclic se passe lorsqu’il se met à leur parler de Crime et Châtiment de Dostoïevski. « Entre la narration d’une mort et une autre, on pouvait entendre la respiration des élèves. Ta fatigue avait disparu, et une nouvelle sensation de plénitude commençait à te prendre en compte. » Lorsqu’il prend l’autobus pour rentrer de ses cours, c’est comme s’il revenait à Saint Pétersbourg.

Contrôle policier au Brésil

 Le livre de Jeferson Tenório est parcouru tout au long par la question du racisme. « Il est nécessaire de préserver l’envers, disait Henrique à son fils Pedro. Préserver ce que nul ne voit. Parce qu’il ne faut pas longtemps pour que la couleur de la peau traverse notre corps et détermine notre façon d’être dans le monde. Et plus ta vie sera mesurée par la couleur, plus tes attitudes et des façons de vivre seront sous cette domination, plus tu devras, d’une certaine manière, préserver quelque chose qui ne cadre pas là-dedans. »

 Le livre vaut aussi par son analyse en profondeur de la psychologie des personnages. Lorsque Pedro tombe amoureux d’une jeune femme nommée Saharienne, c’est à toute l’histoire de ses parents qu’il est confronté.

Jeferson Tenório

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *