Les alchimies

Dans « Les alchimies » (Seuil, 2023), Sarah Chiche emmène le lecteur sur les traces de médecins fascinés par Goya et sa connaissance intime de l’esprit humain, bien décidés à entrer eux-mêmes dans l’univers du peintre.

 Camille Cambon est médecin légiste, comme son père lui-même l’avait été. Elle reçoit un courriel l’invitant à rencontrer à Bordeaux quelqu’un qui lui parlera du crâne de Francisco de Goya. Lors de l’inhumation du peintre, mort dans cette ville en 1828, on avait constaté l’absence de sa tête. Pierre Cambon, le père de Camille avait écrit un livre sur Goya.

 L’interlocutrice de Camille s’appelle Jeanne. Elle a vécu une carrière de comédienne à Bordeaux, d’abord dans un cabaret espagnol, le Sol y Sombra, dont le propriétaire prétendait détenir le crâne de Goya. C’est là qu’elle se lie avec Pierre Cambon et son ami Alexandre, médecin neurologue. L’un et l’autre, par leur métier, sont confrontés à l’esprit humain, dans sa vérité tourmentée. Le premier dissèque des corps et cherche à établir ce qui est arrivé aux hommes et femmes victimes de morts violente ; le second découpe des cerveaux pour comprendre les zones du génie ou de la folie.

« L’esprit humain, Camille, est un labyrinthe de couloirs troués d’apparitions claires, de couleurs éclatantes ou sourdes, de crépuscules d’enfance apaisants et de monstres immenses tirés du fond des siècles. Ces couloirs de la connaissance, Goya les a tous empruntés. »

 Pierre, Alexandre et Léa, femme de Pierre et mère de leur fille Camille entendent vivre eux-mêmes ce labyrinthe de couloirs troués, dans les catacombes de Paris avec l’aide de psychotropes, au risque de la mort. Ils veulent expérimenter eux-mêmes l’univers de Goya : « paysans au visage caché par une capuche, au corps cassé par le labeur, maintenus devant des murs, déjà presque morts ; pendus aux pieds ballants, tête grimaçante, aspirés par le néant ; aliénés dévastés par les tortures de l’esprit dans leur asile… » « Ce que tu ressens en regardant ces tableaux, ce n’est pas de la peur, c’est de l’émerveillement teinté de peur. »

Autoportrait de Goya aux mains de son médecin

Sarah Chiche s’est longuement documentée pour écrire « Les alchimies ». Sa description du métier de médecin légiste est précise et glaçante. Le personnage de Camille, confronté à la crise de l’hôpital, à une séparation mal résolue avec son mari, à l’adolescence difficile de sa fille, a beaucoup de relief.

 J’ai été spécialement intéressé par la description de la ville de Bordeaux dans les années 1950. « Capucins, Saint-Michel, rue Kléber, Cours de l’Yser. Dans ces quartiers, jetés par l’exil sur des bouts de trottoir, la foule sombre des enfants de la guerre civile espagnole vivait encore à l’heure de Madrid, de Cadix ou de Saragosse. » Dans le cabaret Sol y Sombra, un homme chante le flamenco : « un chant de ténèbres et de feu qui traverse la peau de qui l’entend, brûle le sang. »

 Cette musique, venue comme Goya du tréfonds de l’Espagne, résonne avec sa peinture, aide à la comprendre de l’intérieur: « le plus secret de ce que nous sommes. Tu es comme Dieu, mais sans Dieu. »

Sarah Chiche, Cour Mably à Bordeaux

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