Les Contemplées

Dans « Les Contemplées » (la Manufacture des livres, février 2023), la romancière Pauline Hullier s’inspire de l’expérience vécue par elle il y a dix ans à la prison pour femmes de Tunis.

 A la suite d’une manifestation féministe, Pauline Hullier fut placée en garde à vue puis incarcérée à la prison de la Manouba dans une cellule d’une trentaine de mètres carrés comprenant vingt-huit détenues.

 « Tout me dégoûte. Mes yeux ne se posent que sur la peinture craquelée, les dalles de carrelages fissurées, les insectes sur les murs, les trous et les taches sur les draps, les poils sur les jambes, les boutons sur les fronts et ne veulent pas voir le reste : les efforts pour maintenir la pièce la plus propre possible, les vêtements brossés à l’huile de coude, l’ordre rigoureux de la cellule, le mieux qu’on peut, le système D, les deux bouts de la chandelle, l’ingéniosité, la volonté et la dignité. »

L’entrée de la Manouba

C’est à voir, et pour mieux dire à contempler « le reste » que s’exerce la jeune Française. Elle a été autorisée à amener avec elle un seul livre, les Contemplations de Victor Hugo. En marge des poèmes, elle écrit ses observations sur la prison et raconte ses codétenues.

 La Manouba est bien différente des prisons françaises : l’entassement et l’insalubrité y sont encore plus criants ; des condamnées à perpétuité y côtoient des femmes en attente de jugement ; les relations avec les surveillantes sont plus âpres. Pour Pauline, qui n’a jamais été détenues, tout est à apprendre :

« je suis un nouveau-né dans un nouveau monde dont les codes, les rites et la langue m’échappent totalement. »

 Elle sait lire dans les lignes de la main. Chacune des femmes qui partagent la cellule vient auprès d’elle pour se faire prédire l’avenir. Grâce au toucher, un peu de français, beaucoup d’arabe qu’on lui traduit, la communication s’établit. Pauline est fascinée.

Manifestation à Tunis

Sa voisine de lit est « Fuite », ainsi surnommée car elle a été arrêtée pour avoir fait fuir les sujets du bac. Elle est toute jeune et très futée. Elle a bien compris « qu’ici les ascenseurs doivent se renvoyer. C’est même un yoyo incessant. Le système de troc est au cœur de l’équilibre social de la cellule. » Fuite a créé sa place en prison.

Il y a aussi Hafida, enceinte. « Elle parvient à tenir le coup. Et en souriant, en plus. En prenant soin d’elle et des autres, en accueillant avec bienveillance les nouvelles venues, en gardant espoir, en ne s’avouant jamais vaincue. »

 Et puis Souad, rencontrée dans le cachot sous le tribunal, pétillante de vie malgré l’usure de la détention. « Pour Souad chaque carrefour dans sa paume est la promesse d’une aventure à vivre. Tout semble bon à prendre. » Et, à l’inverse, Fazia, une toute jeune femme anéantie : « Fazia, c’est l’histoire d’une disparition. Ou comment le système judiciaire fait disparaître des vies, à tout jamais, sans aucune perspective de réinsertion ou de réhabilitation. »

 Il y a la « Cabrane », la patronne de la cellule, qui a tué les hommes de sa famille pour se venger des violences subies. Elle est au sommet de la hiérarchie des détenues, traite avec les surveillantes, accorde ou non sa protection selon le respect qu’on lui porte. « La Cabrane, féministe à sa dangereuse façon, qui n’a jamais été aussi libre que derrière les barreaux. »

 Il y a surtout la vieille Boutheina, qui prend soin de Pauline une nuit de fièvre violente. « Je me soumets à ses mains de guérisseuse. Je comprends que c’est elle, sa magie, son savoir-faire, sa tendresse aussi, qui m’ont délivrée des flammes de la fièvre (…) La vieille Boutheina consacre ainsi toute sa matinée à me ramener à la vie. Elle n’est pas allée travailler en cuisine ce matin pour pouvoir rester à mes côtés (…) Ma fièvre a fait fondre la rivière de glace qui nous séparait (…) Quand je regagne ma couchette le soir, je ne me lasse pas de la contempler. »

 « Les contemplées » est un livre magnifique parce qu’il fait jaillir l’émerveillement dans un monde glauque et absurde. On y trouve aussi des observations pertinentes sur l’enfermement, telles que celle-ci : « Les après-midis sont de longues pages blanches durant lesquelles il faut affronter l’ennui comme on peut. Le premier objectif de la journée reste de la passer. »

Pauline Hullier

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