Les mirages de la certitude

Dans « Les mirages de la certitude, essai sur la problématique corps – esprit » (The delusions of certainty, traduction française à paraître le 24 mars chez Actes Sud), Siri Hudsvedt démonte le dogme selon lequel le cerveau humain fonctionnerait comme un ordinateur.

Siri Hudsvedt est une personnalité à part. Dans une émission récente de la Grande Table, sur France Culture, elle se définissait comme romancière, comme une intellectuelle, une curieuse affamée de lecture. Elle est aussi une spécialiste reconnue des neurosciences et de la psychologie. Elle est philosophe, dans la ligne de la phénoménologie de Husserl et Merleau-Ponty. Elle a commencé sa vie adulte comme poétesse. Elle est aussi critique d’arts visuels. Elle est l’épouse du romancier Paul Auster, aux côtés duquel elle se trouvait lors d’une émission récente de La Grande Librairie sur France 5.

Elle regarde le monde à 365°. Son essai s’intègre d’ailleurs dans un triptyque qui s’intitule « Une femme regardant un homme regardant une femme ». Son approche pluridisciplinaire accorde une place prépondérante au doute : « le doute est fertile car il ouvre un penseur à des pensées étrangères. Le doute est générateur de questions ». Ou encore : « Une pensée subtile requiert d’embrasser l’ambigüité, d’admettre des trous dans le savoir, et de poser des questions qui n’ont pas encore de réponse ».

Siri Hudsvedt

Siri Hudsvedt bataille contre les dogmatismes. Le plus redoutable d’entre eux est celui des chantres de l’intelligence artificielle, censée supplanter l’esprit humain dans quelques dizaines d’années. Elle considère leur pensée comme un avatar du dualisme de René Descartes. Pour celui-ci, l’esprit humain était capable de s’abstraire du corporel pour atteindre des vérités mathématiques et, par celles-ci, la réalité de Dieu.

Descartes, écrit-elle, « reliait son âme rationnelle immatérielle à Dieu. L’âme immatérielle d’aujourd’hui semble être l’information désincarnée ». « Les avocats du GOFAI (Good old-fashion artificial intelligence), écrit-elle, souhaitaient construire une machine humaine intelligente et propre (…) une machine pensante belle et sèche.

Or, selon Maurice Merleau-Ponty, le corps conditionne vraiment notre perception du monde et notre compréhension cohérente de ce monde. Dans cette conception de l’être dans le monde, notre corps est inséparable de nos pensées et les informe.

René Descartes

Le monde commence avec la sensation corporelle

Et le corps est essentiellement humide. Comme l’écrit Siri Hudsvedt dans un beau passage de son livre : « le corps humain ingère le monde de différentes manières, quand nous mangeons et mastiquons et respirons. Nous absorbons le monde avec nos yeux, oreilles et nez, et nous le goûtons avec nos langues et nous faisons l’expérience de ses textures sur notre peau. Nous urinons et déféquons et vomissons et pleurons des larmes, et nous crachons et nous transpirons et nous faisons couler du sang menstruel, nous faisons du lait et du sperme, des fluides vaginaux et de la morve (…) Et quand une femme donne naissance, elle pousse le bébé hors de son corps. Le bébé nouveau-né arrive dans le monde couvert de sang et de fluides (…) Et nous mourons. Notre corps organique putréfie et se désintègre, et nous désapparaissons du monde. Ces processus naturels sont-ils séparables de nos pensées et de nos mots ? »

« Nous faisons le monde à notre propre image. Le monde commence avec la sensation corporelle et l’émotion qui deviennent langage métaphorique, imaginatif et poétique, qui ensuite devient concepts abstraits (…) Pour les neuroscientifiques, ce qui compte le plus dans la perception, ce n’est pas que le cerveau produise une représentation adéquate du monde, mais plutôt qu’un organisme perçoive les voies pour une action d’adaptation. »

« Les mirages de la certitude » est un livre difficile d’accès, parfois redondant, mais stimulant.

Maurice Merleau-Ponty

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