Les villes de la plaine

Dans « les villes de la plaine » (Sabine Wespieser éditeur, 2011, édité en Livre de Poche), Diane Meur écrit une belle parabole sur le fondamentalisme.

En 1847, une équipe d’archéologues prussiens met à jour, dans un pays du Proche Orient, une cité disparue du nom de Sir. Étrangement, elle semble n’avoir pas évolué pendant des siècles et avoir disparu subitement, sans les vestiges du déclin que laissent généralement derrière elles les grandes civilisations.

Diane Meur remonte dans son roman quelque trois millénaires en arrière. Sir est une ville prospère dans une plaine proche d’une chaine de montagnes. Elle est entourée de murailles. Une autre ville a été construite dans la plaine : Hénab, une cité laide construite sur les deux rives d’un fleuve, commerçante, traversée de voies et de ponts. « Sir, écrit la romancière, tu écrases de ton mépris Hénab, ta rivale moins belle : tu n’en parles jamais, ou avec exécration. Parce qu’elle est née banalement dans la boucle d’un fleuve, tu l’appelles prostituée collant son ventre au premier passant venu ; et aussi parce qu’elle s’ouvre à tous les vents, à toutes les étreintes, n’ayant pas jugé bon, elle, de se fortifier. »

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Statuette retrouvée sur le site archéologique de Kalpis (Kultepe) en Anatolie, vieux de trois millénaires.

Depuis quelque cinq cents ans, Sir vénère un personnage qu’elle a déifié, Anouher. En son nom, un gouvernement de juges légifère et codifie le moindre aspect de la vie de la cité. «Toutes les lois de Sir sont faites pour annihiler la notion d’incident ou celle, plus choquante encore, d’événement, l’engluer dans un réseau de clauses et de jurisprudence où n’existent que des cas ».

Un scribe, Asral, est appointé pour écrire le corpus des écrits et des lois d’Anouher. Mais piqué par la curiosité, celui-ci se met à la recherche du véritable Anouher. Il découvre que celui-ci a été un homme révolté au nom de la justice et qui voulut donner le pouvoir au peuple, aux femmes comme aux hommes. Mais « Sir a tué l’homme Anouher et en a fait un dieu ».

Asral veut remettre les habitants de Sir en route. Il leur explique : « chaque année rend vos règles plus rigides, chaque année vous fige davantage dans le souvenir de ce passé. Et cette pétrification n’est-elle pas un processus, un devenir, cela même que vous prétendez bannir ? »

Dans son cheminement, Asral est aiguillonné par les questions de bon sens que lui pose son garde du corps, un solide montagnard nommé Ordjéneb. Celui-ci est d’autant plus sensible à la dimension féministe de la découverte de son maître qu’il est tombé amoureux à Sir d’une femme courageuse du nom de Djili.

L’armée d’Hénab s’apprête à faire le siège de Sir. Les habitants, apeurés, veulent faire d’Asral un roi à la poigne de fer, qui seul pourra selon eux les sauver. Mais ce serait trahir l’esprit du vrai Anouher. Les dernières heures de Sir s’approchent.

Le livre de Diane Meur parle d’un passé oriental mythique, mais c’est bien de notre situation présente qu’il s’agit. Un archéologue prussien résume l’esprit de Sir : « que rien ne change, que tout demeure stable. » Ce rêve absurde nourrit les fondamentalismes, les crispations, la construction de remparts. Et il ne peut conduire qu’à la ruine. Trois millénaires après que Sir fût rasée par Hénab et son sol couvert de sel, les archéologues prussiens parlent d’une « concentration humaine dont ne subsistent que de la poudre, de la poussière et des gravats… »

L’illustration de cet article est empruntée au blog archéologique de Nicolas Constans.

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