L’île des esclaves

Le Groupe 33, compagnie de théâtre bordelaise, a joué récemment au théâtre La Lucarne, la pièce « L’île des esclaves » de Marivaux (1725).

 L’action est placée dans l’Antiquité grecque. Un noble athénien, Iphicrate, et son esclave Arlequin, sont rescapés d’un naufrage. Iphicrate n’est pas long à comprendre qu’ils ont échoué sur l’île des esclaves. Un siècle auparavant, des esclaves fuyant la brutalité de leurs maîtres y avaient trouvé refuge et y avaient créé une république.

 Initialement, les maîtres que le sort jetait sur l’île étaient massacrés. Le gouverneur, Trivelin, explique aux nouveaux venus la nouvelle philosophie. « Nous ne nous vengeons plus de vous, nous vous corrigeons ; ce n’est plus votre vie que nous poursuivons, c’est la barbarie de vos cœurs que nous voulons détruire (…) Nous entreprenons de vous guérir ; vous êtes moins nos esclaves que nos malades, et nous ne prenons que trois ans pour vus rendre sains, c’est-à-dire humains, raisonnables et généreux pour toute votre vie. »

Ainsi exprimé, le projet s’apparente aux centres de rééducation de Pol Pot, trois siècles et demi plus tard. Il s’agit d’exercer sur les pensionnaires une pression psychologique telle qu’ils finissent par se « corriger ». Une demi-confession ne suffit pas : « il me faut tout ou rien », dit Trivelin.

 La méthode est brutale : maître et esclave échangent leurs rôles, et même leurs noms. Arlequin va donc appeler son maître Arlequin (un personnage ce la Commedia dell-Arte), ou « Hé ! », manière de ne pas le nommer et de le rendre transparent.

 Un autre couple de maître et d’esclave est tombé dans les mains de Trivelin : Euphrosine, une mondaine superficielle et méprisante, et sa suivante Cléanthis. « Approchez, et accoutumez-vous à aller plus vite, car je ne saurais attendre », ordonne Cléanthis à la précieuse dont elle est devenue maîtresse, sur l’île des esclaves.

Les deux esclaves, Arlequin et Cléanthis, décident de jouer la comédie de la galanterie, à la manière des maîtres. Arlequin séduira Euphrosine, Cléanthis Iphicrate. Mais dans ce jeu, ils découvrent dans leurs anciens maîtres des êtres blessés. Les esclaves vont être généreux. « Il faut avoir le cœur bon, de la vertu et de la raison ; voilà ce qui est estimable, ce qui distingue, ce qui fait qu’un homme est plus qu’un autre. » Les esclaves pardonnent à leurs maîtres et reprennent leur statut d’assujettis.

 La morale de la pièce de Marivaux est donc que l’inégalité sociale est naturelle, mais qu’elle doit s’exercer dans la douceur et la bienveillance. Ce n’est pas ainsi que le comprend la metteure en scène du Groupe 33, Colette Sardet. Alors que Trivelin, Iphicrate et Euphrosine s’avancent pour recevoir les applaudissements du public, Arlequin et Cléanthis tentent de rompre la chaîne que forment leurs mains et de s’imposer. En vain.

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