Dans « L’inconnu de la poste », la journaliste Florence Aubenas raconte six ans d’enquête autour d’un fait divers, l’assassinat d’une postière dans un village de l’Ain en 2008 et d’un personnage, Gérald Thomassin, disparu sans laisser de traces onze ans plus tard après avoir été accusé du meurtre puis blanchi.
Le 19 décembre 2008, Catherine Burgaud était sauvagement assassinée à coups de couteaux dans la poste annexe du village de Montréal-la-Cluse, au bord du lac de Nantua, sur la route entre Lyon et Genève.
Les soupçons se portèrent d’abord sur le mari dont elle était en train de divorcer. Puis sur un étranger au village, Gérald Thomassin, qui vivait depuis quelques mois au sous-sol de l’immeuble en face de la poste.
Gérald Thomassin est un personnage hors du commun. Il a 34 ans lors du crime. Fils d’une mère toxicodépendante, placé par la DDASS dans une famille d’accueil abjecte et terrifiante, il avait été repéré à l’âge de 16 ans par l’équipe de Jacques Doillon pour jouer le rôle principal du film « le petit criminel » (1990), et avait obtenu le César du meilleur espoir. Il avait ensuite joué dans une vingtaine de films.
Il ne participait pas aux fêtes de fin de tournage et disparaissait pour de longs mois. Il dépensait en quelques jours ou quelques semaines l’argent gagné, et reprenait une vie de marginal, logeant chez des amies ou dans la rue, addict aux drogues dures et à l’alcool.
Peu à peu, les enquêteurs sur le meurtre de Montréal se convainquent de la culpabilité de Thomassin, malgré ses constantes dénégations, malgré l’absence de son ADN sur les lieux du crime. La drogue n’aurait-elle pas provoqué en lui un dédoublement de personnalité, une partie de lui-même commettant un assassinat alors que l’autre l’efface ? Thomassin dit entendre des voix : ne lui auraient-elles pas ordonné d’aller massacrer la jeune postière ?
Gérald Thomassin passera trois ans de détention préventive à la prison de Lyon Corbas. Il se rendait à Lyon pour une confrontation qui allait certainement l’innocenter lorsqu’il disparut le 28 août 2019, et l’on reste sans nouvelles de lui.
Le livre de Florence Aubenas est passionnant pour sa chronique d’une vallée devenue prospère grâce à l’industrie du plastique, mais où les jeunes ont peu de perspectives, s’ennuient et dérivent parfois dans l’alcool et l’héroïne.
C’est le personnage de Thomassin qui fascine le plus. La journaliste, qui l’a bien connu et l’attendait à Lyon pour la confrontation qui devait conclure son affaire avec la justice, évoque « sa démarche étrange, un peu mécanique. Un mélange de grâce et de gaucherie »
Elle cite Pierre Amzallag, le responsable casting du « petit criminel » : « quand je lui posais mes questions, il paraissait parler de lui pour la première fois de sa vie. Il ressemblait à un poney sauvage qu’on vient d’attraper au licol ».
Et Gérald Thomassin lui-même : « quand tu es à la rue, tu vis au fur et à mesure. Tu ne penses plus qu’à elle. C’est comme le cinéma. »