Dans son film « l’ombra del giorno » (l’ombre du jour), sorti en Italie en 2022, le réalisateur Giuseppe Piccioni décrit le parcours d’un homme depuis un soutien mou au fascisme jusqu’à la résistance.
L’histoire commence en 1938, année de l’alignement de Mussolini sur Hitler et de la proclamation de lois raciales. Le jardin des Fizzi Contini de Giorgio Bassano et La Storia d’Elsa Morante ont le même point de départ, avec la persécution des Juifs en toile de fond.
Luciano (Riccardo Scarmacio) tient un restaurant sur la place centrale de la petite ville d’Ascoli Piceno dans la province des Marches, en Italie centrale. Ancien combattant, il garde de la guerre une jambe raide, et aussi l’âme meurtrie par le souvenir d’avoir tué de ses propres mains. Il est en bons termes avec les hiérarques locaux du parti fasciste. Il ne veut pas de vagues, et lorsque son cuisinier Giovanni (Vincezo Nemolado) plaisante sur des dignitaires du parti, il lui impose le silence.
Une jeune femme (Benedetta Porcaroli) se présente à la porte du restaurant et le supplie de l’employer, pour quelque type de travail que ce soit. Elle dit s’appeler Anna. Vite, elle se montre polyvalente, compétente, efficace, agréable aux clients, en bref, irremplaçable.
Anna exerce une véritable fascination sur Luciano. Il lui avouera plus tard que c’est la perspective de la retrouver qui lui donnait l’envie de se lever le matin et de courir au restaurant. Une vraie histoire d’amour nait entre Luciano et Anna. Ce qui complique la situation, c’est qu’Anna n’est pas Anna. Elle a des faux papiers. Elle s’appelle Esther et « n’est pas de race aryenne ».
À Ascoli Piceno, le parti fasciste, dirigés par le terrible Osvaldo (Lino Musella) mène une répression d’autant plus implacable que peu à peu filtrent des nouvelles sur les ombres qui couvrent l’Italie : les rumeurs sur la déroute de l’armée en Grèce et des témoignages sur des soldats atrocement mutilés. Luciano s’engage dans la protection d’Anna et de quelqu’un qui est cher à celle-ci, au risque d’être torturé et de perdre sa vie.
Le personnage interprété par Riccardo Scarmacio est remarquable de profondeur. En surface, il semble imperturbable, cohérent dans le rôle de soutien muet de la révolution fasciste. En réalité, c’est un amoureux transi, un homme qui découvre effaré le désastre qui se profile pour son pays, un résistant en actes.
J’ai été sensible aussi au personnage de Corado (Costantino Seghi), un homme jeune à l’étroit dans sa réalité de fils à maman dans une ville de province, rêvant d’un grand destin. Il est employé à temps partiel au restaurant de Luciano. Il devine que s’il dénonce ce qui se trame à la cave peut lui ouvrir une belle carrière dans l’appareil répressif. Son personnage évoque le Nino de La Storia, cherchant sa voie entre chemises noirs, résistants et trafiquants ; ou encore celui de Lacombe Lucien de Louis Malle, le milicien sortant de l’ombre par l’abjection.
« L’ombra del giorno » est un beau film. Il n’est pas sorti en salles en France, et j’ai pu le voir dans le cadre d’une soirée organisée par l’Institut Dante Alighieri au cinéma Utopia de Bordeaux. Il trouverait pourtant, parmi les amoureux de l’Italie et les passionnés d’histoire, un public en France.