L’ombre de Goya

Avec son film documentaire « l’ombre de Goya », José Luis Lopez-Linares nous entraîne avec Jean-Claude Carrière sur les lieux où vécut let travailla le peintre, né près de Saragosse en 1746 et mort à Bordeaux en 1826.

Ce fut le dernier voyage en Espagne de Jean-Claude Carrière : il participa au scénario et décéda en février 2021. C’était un amoureux de l’Espagne, de sa culture et du castillan, langue qu’il utilise à plusieurs reprises dans le film.

Le documentaire de Lopez-Linares porte en réalité trois ombres : celle de Goya, bien sûr, mais aussi celle de Buñuel, admirateur du peintre, dont Carrière fut le scénariste de plusieurs films. Et naturellement, l’ombre de Jean-Claude Carrière lui-même, dont le regard pénètre profondément l’œuvre de Goya.

Ami de Carrière, l’astrophysicien Michel Cassé rapproche l’univers de Goya de la relativité d’Einstein. Il voit le tableau « 8 de Mayo » comme une métaphore de l’espace-temps : au premier plan, le cadavre d’hommes déjà morts ; au second plan, avec sa tunique blanche, celui qui, au présent, est en train d’être fusillé ; en recul, le futur d’un homme qui se couvre les yeux pour ne pas voir ce qui l’attend.

Michel Cassé fait aussi un parallèle avec la théorie quantique : la réalité n’est pas extérieure à l’observateur. Le regard de l’observateur interfère avec la réalité, la modifie. De la même manière, le regard de Goya transforme la réalité qu’il affronte, y injecte d’une énergie formidable.

En contemplation devant des tableaux, Carrière nous fait observer le regard des personnages représentés : la Maya desnuda et la Maya vestida nous regardent fixement. Qu’est-ce qu’elles nous demandent ? s’interroge l’écrivain. Les œuvres de Goya questionnent le spectateur sur sa propre vie, sur le sens de cette vie.

Ce qui frappe dans l’œuvre de Goya, c’est son extrême polarité. Certains tableaux respirent la joie de vivre, d’autres transpirent la désespérance. Il s’intéresse ici aux moindres détails d’un costume ou d’une chevelure ; là, des images oniriques sont représentées à grands traits. Ici la lumière, là une profonde obscurité. Il s’intéresse aux gens, qu’il s’agisse des nobles de cour ou de gens simples, jusqu’à des bagnards.

Francisco de Goya a été confronté à des bouleversements : la Révolution française et la guerre de Napoléon dans la péninsule ibérique ; sur le plan personnel, la surdité survenue quand il avait 46 ans et qui fit du regard son seul lien avec le monde.

Dans le dossier de présentation du film, on lit : « seul entre deux époques, seul, au moment où la révolution française bouleverse à jamais l’ordre des choses. Entre l’ancien monde et le nouveau, entre la servitude et la liberté. Au croisement des temps. »

Le film de José Luis Lopez-Linares, scénarisé par Jean-Claude Carrière et Cristina Otero Roth, est rempli de la connaissance encyclopédique de l’écrivain, et animé par un puissant souffle poétique. Un voyage dans le temps, un voyage dans un grand pays, un voyage dans l’œuvre d’un des plus grands peintres dans l’histoire.

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