Présidée par Gérald Bronner, la commission « Lumières à l’ère numérique » a remis son rapport le mois dernier.
On lit dans son introduction : « dans son opuscule Qu’est-ce que les Lumières ? (1793), le philosophe Emmanuel Kant interpelait ses contemporains par une formule célèbre : « Ose savoir ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà donc la doctrine des Lumières. » Cette doctrine portait l’espoir d’un siècle : l’avènement prochain, grâce aux progrès de l’éducation et de la disponibilité de l’information, d’une société éclairée, fondée sur la raison et la connaissance. »
Grâce au numérique, l’information n’a jamais été aussi disponible qu’aujourd’hui. La société est-elle plus éclairée, davantage fondée sur la raison et la connaissance ? Le rapport analyse les mécanismes cognitifs à l’œuvre chez les individus et les logiques dirigeant l’action des réseaux sociaux et des États. Il formule trente recommandations pour le contrôle des GAFAM, l’adaptation de la législation au niveau national, européen et international et l’éducation aux médias et à l’information (EMI).
Le rapport met en évidence l’utilisation que certains États font des réseaux sociaux comme arme de guerre : la déstabilisation par la Russie des démocraties occidentales, par exemple en favorisant l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis ; « l’utilisation experte des réseaux sociaux par l’État islamique pour diffuser sa propagande, pousser à la radicalisation, lever des fonds et organiser les départs vers la Syrie. »
Le rapport souligne que, pour maximiser leurs recettes publicitaires et donc leurs profits, les réseaux sociaux cherchent à tout prix à accroître « l’engagement » de leurs adhérents, c’est-à-dire le temps qu’ils y passent et le nombre de « likes » et de repartages. Or « une analyse portant sur Twitter montre par exemple qu’un message a 17% de chances de plus d’être repartagé pour chaque mot d’indignation qu’il contient. Le constat pour Facebook n’est pas plus reluisant, puisque le célèbre réseau social a favorisé algorithmiquement les messages incitant à la colère plutôt que ceux exprimant la tempérance et l’approbation. » On note aussi que, selon une étude menée en 2019, « les recherches du terme « climat » sur YouTube ont majoritairement (54%) orienté les internautes vers des vidéos climatosceptiques. »
Le rapport s’intéresse à la « publicité programmatique », celle qui, à partir d’informations collectées par un réseau social sur nos goûts, nos comportements et nos requêtes d’information, consiste en des annonces ciblées postées sur des sites internet. Elle constitue une source de revenus considérable pour les sites de désinformation.
Il décrit les tactiques de ces sites pour générer de l’audience. L’une d’entre elles consiste à réagir très vite sur des événements en train de se produire, comme un attentat. « Ainsi, toutes sortes de thèses complotistes sur l’incendie de Notre-Dame de Paris se sont mises à fleurir sur les réseaux sociaux tandis que le feu faisait encore rage. »
Le rapport insiste sur l’importance de développer, dès l’école, l’éducation aux médias et à l’information (EMI) et l’esprit critique. « Notre esprit, lit-on, est fortement tenté d’accepter des idées vraisemblables et qui n’entraînent pas des processus analytiques coûteux en termes intellectuels. Notre disposition à être mésinformé vient en partie d’une forme d’avarice cognitive. »
Il faut s’entraîner sans cesse à exercer une vigilance cognitive. Préférer la nuance aux excès verbaux ; apprendre à distinguer corrélation et causalité ; se méfier de la logique du « à qui le crime profite » ; comprendre que ce n’est pas parce qu’un message est mille fois relayé qu’il est vrai.