Dans « Muhammad and the believers, at the origins of Islam » (The Belknap Press of Harvard University Press, 2010), Fred Donner défend la thèse que l’Islam ne s’est constitué comme religion que des dizaines d’années après la mort du prophète.
Fred Donner, né en 1945, est professeur d’histoire médiévale du Proche Orient à l’Université de Chicago. Son livre, dont le titre se traduit en français par « Mahomet et les croyants, aux origines de l’Islam », couvre la période de la naissance de Mahomet (vers 570 de notre ère) à la fin de la seconde guerre civile qui vit la restauration omeyyade, en 692.
Les principaux événements de cette période sont le début de la révélation à Mahomet à La Mecque (610), la montée de l’hostilité des Mecquois à son égard avec en conséquence son émigration (hégire) à Médine en 622, puis la constitution d’une communauté de croyants à Médine s’imposant peu à peu comme une force politique et militaire jusqu’au retour triomphal à La Mecque (630) et la mort de Mahomet à Médine (632). Les « remplaçants » de Mohamed (« califes » en arabe), Abu Bakr, Omar, Uthman et Ali président, pendant une trentaine d’années à une formidable expansion, de l’Indus à la Péninsule ibérique. Une première guerre civile oppose Ali à Muawiya de 656 à 665 : elle aboutit à la création de la première dynastie, celle des omeyyades et au déplacement du centre de gravité de l’empire de l’Arabie à Damas. Une seconde guerre civile eut lieu de 680 à 692, mettant aux prises le Calife de Damas, un Calife autoproclamé en Arabie et Hussein, descendant d’Ali. Abd el Malik, descendant de Muawiya, écrasa ses ennemis.
La première guerre civile eut pour conséquence le premier schisme dans la communauté, celle des Kharidjites, qui représentent aujourd’hui une toute petite minorité dans le monde musulman (ils détiennent le pouvoir à Oman). La seconde guerre civile est l’origine du chiisme.
Fred Donner souligne le manque cruel de sources pour rendre compte de cette période. Les textes écrits (y compris le Coran, qui fut mit sous sa forme canonique actuelle sous Uthman une vingtaine d’années après la mort du prophète) sont très postérieurs, et l’archéologie est de peu de secours.
À partir des documents les plus anciens, il est toutefois possible de se faire une idée de comment commença l’Islam. Fred Donner observe que dans le Coran, le mot « musulman » (« muslimun », « ceux qui se soumettent ») n’est utilisé que soixante-dix fois. Le mot le plus fréquent pour désigner la communauté autour de Mahomet est « mu’minun », « croyants ».
Quelles étaient les convictions de ces croyants ? Tout d’abord, ils affirmaient l’unicité de Dieu ; ils croyaient en l’imminence du jugement dernier ; ils pensaient que, dans l’attente du jugement, il fallait mettre sa vie en ordre, mener une vie pieuse et pratiquer l’équité. Telles étaient les pierres d’angle de ce que Donner appelle « le mouvement des Croyants ». Pour lui, il n’était pas difficile à d’autres monothéistes, Juifs ou Chrétiens, d’adhérer à ces principes ; pendant des dizaines d’années, le mouvement des croyants a, selon Donner, incorporé sans problème des personnes appartenant à ces religions monothéistes. Ce ne serait que progressivement, et surtout après la seconde guerre civile, que le pouvoir omeyyade constitua l’Islam comme religion concurrente du Judaïsme et du Christianisme. Le symbole de cette séparation est le Dôme du Rocher édifié à Jérusalem par le Calife Abd el Malik. Le Dôme occupe l’emplacement de l’ancien Temple de Jérusalem ; sur sa coupole sont retranscrits des versets du Coran contre le dogme chrétien de la Trinité. Il s’agit donc d’une manifestation d’identité forte en contraste avec les autres religions, pour ne pas dire d’une déclaration de guerre.
La thèse de Donner me semble contestable. En effet, l’un des premiers documents auquel il accorde crédit, la « charte de Yathrib » par laquelle Mahomet et les tribus de Médine scellent leur accord, indique que les Juifs seront libres de pratiquer leur religion et les Musulmans la leur, ce qui semble indiquer une séparation très ancienne.
Mais le livre de Donner se lit comme un roman, et il a le mérite de montrer la naissance de l’Islam comme un processus historique complexe. Les rodomontades du « Calife-Tweeter » de l’État Islamique prétendant restaurer l’Islam pur et authentique des origines passent à côté d’une réalité fascinante parce que profondément humaine. Mais n’est-ce pas le propre des médias de créer de toute pièce un passé rêvé, sans aucune profondeur historique ?
« Muhammad and the Believers » constitue une excellent antidote au fanatisme.