Le manuel des visiteurs de prison, écrit par Jules Arboux en 1894, fournit une intéressante matière à réflexion aux visiteurs d’aujourd’hui.
Jules Arboux (1847 – 1919) fut aumônier protestant des prisons de la Seine pendant plus de 25 ans. Il est l’un des fondateurs en France de la Mutualité. Il écrivit plusieurs ouvrages sur la prison, dont ce manuel des visiteurs.
Si le vocabulaire est daté (« œuvre », « zèle », « patronage », « redressement ») on est frappé par le fait que les principales structures de la prison moderne existaient déjà à la fin du dix-neuvième siècle. L’instituteur, le médecin, le bibliothécaire, le travail en régie y avaient déjà leur place. Une école de gardiens avait été organisée.
Les qualités du visiteur en 1894 et en 2018
De même, les visiteurs de 2018 se reconnaitront sans doute dans les qualités que Jules Arboux attribuait à leurs pairs en 1894 : « compassion, effort soutenu, sincérité, prudence, sociabilité, oubli des injures, sagesse habituelle, imagination, talent de classification, instruction s’étendant même aux arts d’agrément, langage simple et très facile. » Il ajoutait : « avec une telle énumération, nul n’oserait se charger de ces visites » !
Et l’auteur réduisait les qualités requises à trois seulement : le don d’inspirer la sympathie et de l’éprouver ; la patience ; la persévérance dans cette œuvre à laquelle il ne faut point renoncer lorsqu’elle est commencée. » Être visiteur, écrivait-il, « c’est un devoir très absorbant, une sorte de paternité ou de maternité, une sorte d’adoption, et une adoption rendue particulièrement difficile tant par les défauts que par la position critique de l’adopté. »
Les visiteurs d’aujourd’hui ne se reconnaîtraient probablement pas facilement dans ce concept d’adoption. Il y a là une différence de fond qu’il faut creuser.
Patronage
En 1894, le mot-clé est celui de « patronage ». Les visiteurs ne font pas l’objet d’un agrément individuel. S’ils appartiennent à une société de patronage autorisée par le Ministère de l’Intérieur, ils reçoivent à leur tour le droit de visiter des personnes détenues suivies par cette société.
Les sociétés de patronage sont confessionnelles ou laïques. Ainsi, à Paris, l’œuvre protestante des prisons de femmes a pour objectifs : visite, placement, secours divers. Le refuge israélite pour les jeunes filles : asile, préservation, éducation correctionnelle, placement. À Melun, la société de patronage pour les condamnés libérés et d’Assistance par le travail : secours, rapatriement, conservation du pécule, placement, maisons de travail. L’ouvrage de Jules Arboux cite 180 sociétés de patronage sur le territoire français.
« L’œuvre des visiteurs consiste en ceci, écrit Jules Arboux : parler au prisonnier qui désire les voir, s’assurer qu’il a quelque disposition sérieuse à l’amendement et contribuer à lui procurer des moyens d’existence par l’exercice de sa profession au moment où il sera libéré. »
Sauver le prisonnier
L’objectif consiste donc à « sauver » le prisonnier, à obtenir de lui qu’il se repente de ses méfaits, à le convaincre de faire le sacrifice de ses anciennes et mauvaises relations, de ses liaisons immorales et de ses habitudes vicieuses. Il faut lui faire désirer ardemment son reclassement. Il faut enfin l’aider à réussir ce reclassement, ce qui peut passer par la proposition d’un travail.
En 1894, l’action d’un visiteur de prison a une visée rédemptrice : il s’agit d’extirper le délinquant ou le criminel du cercle vicieux où il s’est enlisé et de l’aider à changer de vie. Cette action ne s’arrête pas lors de la libération : elle se prolonge au-delà, souvent avec l’aide « logistique » de la société de patronage.
Au contraire, le visiteur de 2018 n’a pas l’ambition de sauver les personnes détenues qu’il visite. Les statuts de l’Association nationale des visiteurs, ANVP, gardent la trace de l’ambition ancienne : aider les personnes détenues à réussir leur réinsertion sociale lors de leur libération. Mais l’action des visiteurs se concentre principalement sur l’aide morale et matérielle aux personnes incarcérées et à leurs familles pendant la période de détention.
De sauver à aider
On est donc passé de « sauver » à « aider ». Les visiteurs d’aujourd’hui restent essentiellement dans les limites spatiales et temporelles de l’incarcération. Le travail d’articulation entre le dedans et le dehors, la mise en place de dispositifs de soutien à la libération relève maintenant de la responsabilité des services pénitentiaires d’insertion et de probation.
Les visiteurs ont un positionnement moins moralisateur et plus pragmatique que dans le passé. Mais en se concentrant sur un moment de la vie des personnes placées sous main de justice, ils ne doivent pas perdre de vue que ce n’est qu’une phase de leur parcours de vie, et qu’un jour ils retourneront dans la société.