Matera, dans la région de Basilicate au sud de l’Italie, se prépare à devenir capitale européenne de la culture. Une revanche historique pour cette ville qui, il y a un demi-siècle, était considérée comme la honte de l’Italie.
Matera avait déjà été distinguée par l’UNESCO en 1993 : l’organisation internationale l’avait classée au patrimoine mondial pour ses « Sassi », quartiers d’habitations troglodytes remarquables.
La ville est construite en aplomb d’un ravin au fond duquel coule un torrent. La cathédrale, le quartier ancien et les quartiers nouveaux se distribuent sur un plateau dominant ce ravin. Mais depuis la préhistoire, des grottes ont été habitées à flanc de ravins, et lorsque les grottes naturelles ne suffirent plus, des cavités furent creusées. Matera devint au fil des siècles l’une des villes les plus visiblement inégalitaires qui soient.
En surface, des « palazzi » habités par les aristocrates et les bourgeois. Sous la terre, des paysans miséreux qui survivaient dans des conditions effroyables : entassement des humains et des animaux dans une seule pièce ; pas d’accès à l’eau potable ; déjection des excréments dans un égout à ciel ouvert. Et, comme conséquence de ces conditions, un taux de mortalité élevé.
Carlo Levi dénonça ces conditions dans son témoignage « le Christ s’est arrêté à Eboli ». Après la seconde guerre mondiale, le gouvernement décida d’en finir avec ce qui était devenu « la honte de l’Italie ». Il organisa le transfert des habitants des Sassi dans des logements sociaux.
Alors que les deux quartiers de Sassi (le Sasso Bariano, le plus construit, et le Sasso Caveoso) avaient été vidés de leurs habitants, un programme de réhabilitation fut initié à partir des années 1980. Les Sassi sont aujourd’hui « gentrifiés » : environ 2 000 habitants s’y sont installés avec des concessions de 99 ans, à condition qu’ils financent des travaux de rénovation (eau, électricité) ; des hôtels proposent des chambres troglodytes à des prix relativement élevés, qui tiennent compte notamment du personnel supplémentaire que requiert la topographie des lieux, qui oblige à manipuler les bagages et réaliser l’approvisionnement à dos d’homme.
Des milliers de touristes européens, américains et asiatiques parcourent les ruelles désormais proprettes du Sasso Bariano et de la ville ancienne. Si le Duomo (la cathédrale) relève d’un baroque plutôt kitch, la ville ne manque pas de sites surprenants. Le complexe de la Madonna delle Virtú et San Nicola dei Greci, entièrement creusé dans la roche, frappe par son immensité ; l’une des deux églises rupestres comporte des fresques d’inspiration byzantine. Le toit d’une autre église rupestre servait de cimetière, et l’on voit encore la marque des sarcophages : l’un des seuls endroits au monde où les morts sont en haut et les vivants en bas ! L’église du Purgatoire présente une jolie façade baroque jouant sur le contexte entre convexe et concave et des bas-reliefs rappelant aux croyants qu’ils sont promis à une période de souffrance dans l’au-delà s’ils ne se convertissent pas.
J’ai particulièrement aimé le Muma, musée de sculptures contemporaines, dans le quartier ancien. Il utilise en grande partie des espaces troglodytes autrefois consacrés à la fabrication du vin ou comme étables. Les œuvres ont été sélectionnées en fonction des ondulations, des cavités, des jeux d’ombres des cavernes. Le résultat est remarquable. Un peu plus loin, une exposition de photographies utilise, elle aussi, de vastes espaces souterrains.
Matera est devenue un pôle d’attraction touristique et artistique. Je m’y étais rendu dans le cadre de mon travail dans l’assurance-crédit il y a près de 20 ans. L’économie était atone. Il reste à voir si l’anoblissement de la ville comme capitale culturelle aura un effet d’entraînement bénéfique à toute la région, ou s’il creusera, de nouveau, les inégalités.