Maurice Bellet, qui expliquait que ses zones de travail et de recherche se situaient au croisement de la philosophie, de la théologie et de la psychanalyse, est mort le 5 avril.
L’éclat médiatique du décès de Jacques Higelin, le lendemain, a occulté celle de Maurice Bellet, un personnage plus discret mais aussi « disruptif », comme on le dirait aujourd’hui. Auteur d’une soixantaine d’ouvrages, il était né en 1923. Ordonné prêtre en 1949, il était docteur en théologie et, sous la direction de Paul Ricoeur, en philosophie.
Il se proclama jusqu’au bout chrétien, mais aux antipodes d’un christianisme crispé sur ses dogmes et donneur de leçons. Ce qui primait pour lui, c’était la dynamique du questionnement. Il s’en expliquait en 2004 à Patrick Lagadec dans une interview.
Il distinguait trois âges de l’humanité. Avant les temps modernes, la crise majeure, celle qui menaçait le système social, était perçue comme une effroyable menace : on y répondait en extirpant le mal et en brûlant les hérétiques.
À l’époque moderne, on en vint à considérer la crise majeure comme une chance, comme l’opportunité de passer à un monde meilleur. On parla de révolution, révolution politique et aussi révolution scientifique et technique.
La crise s’est installée
Nous voici dans une époque que l’on peut caractériser de post-moderne. Il n’y a plus l’espoir d’une « lutte finale » : la crise s’est installée, elle est devenue permanente. L’instabilité profonde, le délogement des repères sont devenus notre situation. Mais, demande Bellet, « comment est-ce qu’on peut vivre, humainement vivre, dans une situation de ce type ? »
Il faut, dit Bellet « avoir le courage du questionnement. Le troisième âge critique, c’est peut-être cela : nous serons toujours dans les questions, et la grande affaire ce ne sera pas d’avoir les solutions, ce sera le courage de porter les questions de telle manière que ce courage de porter les questions engendre quelque chose qui ne soit pas stérile ».
Il appelle à se méfier des boîtes à outils, des solutions toutes faites. Elles relèvent de l’empirisme, pas de la science. Car la science consiste à se plier à ce qu’on observe, même si c’est à l’opposé des schémas préétablis. « Je me réclame ici de la science en acte, qui est précisément de se risquer aux questions pas possibles ».
Un travail de formation
Maurice Bellet en appelle à un rigoureux travail de formation qui permette aux humains de vivre sereinement dans le chaos en acceptant de creuser le questionnement sans chercher immédiatement des réponses. Il y a une manière d’éviter les questions qui consiste à détourner le regard, à différer l’action : en 1929, Lyautey soulignait l’urgence de faire des réformes en Algérie ; en 1954, elles n’étaient toujours pas faites. Une autre manière est de se crisper sur des certitudes idéologiques ou religieuses : elles génèrent les guerres et le terrorisme.
Cette formation doit, dit Bellet, « avoir le courage d’assumer ce qui fait l’entièreté de la vie humaine, et la condition humaine, y compris dans ses aspects les plus redoutables – la maladie, la mort, la dépression quand elle nous tombe dessus… Comment est-ce que l’on peut assumer cette condition humaine sans se voiler, sans s’endormir, sans s’anesthésier ? Et en même temps, en acceptant que la façon dont nous nous construisons une vie possible dans un monde habitable c’est quelque chose qui peut, et même qui doit, être constamment réinterrogé quant au fond et restructuré. »
C’est une rude et passionnante tâche que nous lègue Maurice Bellet.