Dans « mémoires d’un curé de France » (Presses de la Renaissance, 2011), René Negré évoque les épisodes marquants de sa vie de prêtre en Gironde de son ordination sacerdotale à sa vie actuelle de retraité.
Né en 1928 à Léognan, René Negré fut ordonné prêtre dans le diocèse de Bordeaux en 1953. Il indique que son nom dérive du mot négrier, commerce exercé par ses ancêtres au dix-huitième siècle. Il appartient par ses origines à la bourgeoisie bordelaise, celle de l’industrie et de la haute fonction publique. L’un de ses oncles était un prélat proche du pape Pie XII à Rome. Fort de ce patronage, il aurait pu faire une belle carrière à la Curie, l’administration du Vatican. Ce n’est pas ce qu’il attendait de la prêtrise.
« J’étais étranger et vous m’avez accueilli »
Dès le début, il place au cœur de sa vocation les commandements de Jésus : « j’étais étranger et vous m’avez accueilli, j’avais faim et vous m’avez donné à manger ». Doté d’une formidable énergie, il ouvre un centre de vacances pour des jeunes Algériens du bidonville de Nanterre, accueille chez lui des Portugais vivant dans des conditions infrahumaines dans la forêt d’Hourtin, reçoit des prêtres étrangers. Il s’emporte contre l’indifférence des bourgeois bien-pensants, s’attire les reproches des autres curés de paroisse que son activisme social rebute et la censure de son évêque lorsqu’il prend la presse à témoin de situations sociales scandaleuses.
Curé d’une paroisse près de Malagar, la propriété de François Mauriac en Gironde, il devient l’ami et le confesseur de cet homme pourtant plus âgé que lui de plus de quarante ans. Par lui, il entre au contact avec des milieux proches du Général de Gaulle pendant la guerre d’Algérie.
Sur le plan religieux, René Negré se dit réformiste, profondément heureux des innovations du Concile Vatican II : l’abandon de la soutane, la messe face au peuple dite en langue de tous les jours, la découverte de l’humilité évangélique. Sur le plan politique, il exècre le marxisme et par-dessus tout « la théorie de la libération (qui) imprégnait bon nombre de prêtres, plus soucieux de pactiser avec les hommes politiques de gauche que d’appliquer les impératifs de charité du chapitre de Matthieu où il est dit : « j’étais un étranger et vous êtes venus jusqu’à moi. J’étais nu et vous m’avez habillé. »
Au pays qui n’existait pas
René Negré a été, de 1970 à 1988, curé de Carcans, la commune où nous vivons maintenant la majeure partie de l’année. Il en parle comme du « pays qui n’existait pas », avant que les terres soient rendues fertiles par le reboisement dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Voici ce qu’il écrit : « jadis, à l’époque gallo-romaine, une splendide forêt ce chênes-lièges s’étendait de Soulac à Bayonne et une population de forestiers et d’éleveurs de chevaux vivait à l’ombre des chemins séculaires. Puis, soudain, en 407 défilèrent les barbares venus du Nord. Après avoir ravagé Burdigala, qui de grande ville gallo-romaine tomba au rang de ruines sinistres ils brûlèrent la forêt, rapidement remplie par de vastes marécages (…)
Des villages subsistaient où sévissait cependant la malaria. Des sables mouvants engloutissaient les malheureux qui osaient s’aventurer dans ces terres sauvages. Ainsi au 18ième siècle l’archevêché de Bordeaux fut saisi d’une curieuse affaire. Sur la côte océane, les paysans étaient devenus naufrageurs. Les soirs de tempête, sur les dunes, ils traînaient des vaches et, sur leurs cornes, attachaient des lanternes. De loin, les navigateurs, voyant ces lumières, se croyaient face à un port et les bateaux venaient s’échouer sur les bancs de sable. Ensuite les paysans, armés de bâtons, n’avaient plus qu’à ramasser les épaves et, si nécessaire, à achever les naufragés afin qu’aucun témoin ne puisse parler ».
(…) A cette même époque, un bateau portugais, trompé par les naufrageurs, se brisa sur la côte. Il transportait du vin de Porto et les barriques, après avoir flotté sur les vagues, vinrent rouler sur la plage. Pendant toute une semaine le vin coula à flots dans les chaumières. Ce fut la fête, d’autant plus qu’on découvrit un coffret au milieu des futailles. Il contenait de l’or. Très impressionné par ce trésor inattendu, les habitants allèrent de nuit au presbytère de Carcans pour demander conseil au curé. Le latin lui tait peut-être inconnu mais il savait les risques encourus pour ceux qui provoquaient les naufrages. Une seule sanction : la pendaison.
Aussi proposa-t-il de cacher l’or. La cassette fut dissimulée dans une ouverture, sous la plaque de cheminée de la cuisine du presbytère. Un siècle plus tard, en démolissant ce bâtiment devenu vétuste, l’entrepreneur eut la surprise de trouver le magot, une marmite pleine de pièces d’or. Elles furent vendues à Lesparre par un huissier de justice, et cet argent permit à la municipalité de bâtir une vaste et belle église ainsi qu’un presbytère (…) »
L’œuvre de François de Chambrelent
René Negré rend hommage à François Jules Hilaire de Chambrelent, né en Martinique le 17 février 1817 et décédé à Pris le 13 novembre 1893 après avoir rendu les terres girondines salubres. Ingénieur, agronome et topographe, Chambrelent découvrit qu’il était possible de drainer les terres marécageuses puis d’y planter des pins maritimes. Il était un intime de l’empereur Napoléon III, qu’il convainquit de l’utilité de son projet. Entre 1850 et 1870, un million cinq cent mille hectares furent transformés en forêt, couvrant trois départements. Ce projet gigantesque apporta salubrité et prospérité à une région qui, depuis plus de dix siècles, n’existait plus. L’exploitation du bois (et pendant des dizaines d’années le gemmage) et le tourisme en font aujourd’hui la richesse.
Au long du vingtième siècle, l’Eglise Catholique en France a permis l’éclosion de personnalités remarquables. J’ai évoqué dans « transhumances » la personnalité de Pierre Gambet, qui s’était fait prêtre plombier et s’était passionné pour la théologie de la libération. Politiquement, Negré est d’un autre bord. Mais son parcours personnel, les œuvres de charité qu’il a réalisées au long de sa vie, le patrimoine historique religieux qu’il a réhabilité font de lui un homme admirable.
Une réflexion sur « Mémoires d’un curé de France »