Arte TV a récemment diffusé un remarquable documentaire de William Karel à quelques semaines du vingtième anniversaire de la mort de François Mitterrand.
François Hollande met volontiers ses pas dans ceux de François Mitterrand, et il s’amuse à entendre le lapsus du président tunisien ou de la chancelière allemande le confondant avec son illustre prédécesseur. Pour les hommes et les femmes de gauche, évoquer son nom rappelle de fortes émotions, celles ressenties lors de son élection à la présidence de la République, après son décès, ou lorsque fut votée l’abrogation de la peine de mort.
Mitterrand était un génie, dit William Karel, et il était souvent un mauvais génie. Dans son film, celui-ci rappelle son rôle dans le régime de Vichy, son amitié pour Bousquet (l’organisateur de la rafle du Vel d’Hiv), son acharnement à demander la peine de mort pour les « terroristes » du FLN algérien, la courte-échelle au Front National pour affaiblir la droite, le sabotage de l’action de son premier ministre Michel Rocard, ou encore l’organisation d’écoutes téléphoniques pour protéger le secret de sa maladie et celui de sa bigamie. Il montre Mitterrand en flagrant délit de mauvaise foi et de mensonge, il le décrit plus cruel encore avec ses amis qu’avec ses ennemis.
Dans ce portrait au vitriol, il y a pire. Karel montre en deux occasions fondamentales l’incapacité de Mitterrand à comprendre le monde tel qu’il changeait et à dégager une vision. Pendant la guerre d’Algérie, il s’opposa fermement à l’indépendance. Après la chute du mur de Berlin, il réduisit cet événement historique à une péripétie interne à l’Allemagne et ne comprit pas que la fin de la guerre froide rebattait les cartes de la géopolitique. Mais sur ce plan de la stratégie, le réalisateur est trop sévère : il minimise l’importance de l’attitude pro-européenne de Mitterrand, protagoniste du traité de Maastricht et consolidateur de la réconciliation franco-allemande aux côtés d’Helmut Kohl. D’un autre côté, il a certainement raison de souligner que le second septennat fut catastrophique, tant en raison du flottement dans les institutions dues à son cancer de plus en plus invalidant qu’à cause de la dérive immorale que son comportement cynique imposa à la vie politique.
« Que reste-t-il de nos amours ? » Le film de William Karel est empreint de désillusion. Mais si le visage du mauvais génie y est prégnant, c’est quand même de génie qu’il s’agit. « Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas », disait Mitterrand lors de ses derniers vœux télévisés, quelques mois avant de laisser la place à Jacques Chirac et près d’un an avant de mourir. Il était proche en cela de ce qu’on pourrait appeler un surhomme, comme la politique en fait peu : Roosevelt, Churchill, de Gaulle…