Nouvelles places de prison : voyage en absurdie

Le projet de loi d’orientation et de programmation de la justice pour 2023-2027, voté en première lecture par l’Assemblée nationale le 18 juillet 2023, prévoit la construction de 18 000 nouvelles places de prison, 3 000 de plus que dans le projet présidentiel de 2017. Cette frénésie de construction carcérale semble totalement irrationnelle.

Les nouvelles prisons ont un coût exorbitant. Elles sont d’avance sous-dimensionnées. Il n’y aura pas assez de personnel de surveillance. L’échéance de 2027 est irréaliste. « Bravo mais pas chez moi ». Bienvenue en absurdie !

Le coût des nouvelles prisons est exorbitant

« Transhumances » a consacré en 2017 un article au programme de 15 000 nouvelles places de prison qui venait d’être annoncé. Le coût du programme était estimé à 3,8 milliards d’euros pour la construction, et un milliard d’euros par an pour le fonctionnement. L’addition de 3 000 places voulue par les députés coûtera, par simple proportionnalité, 760 millions d’euros pour la construction et 200 millions d’euros par an pour le fonctionnement. En réalité, elle coûtera bien plus en raison de l’inflation qui impacte les coûts de construction ainsi que de la revalorisation de la classification et des rémunérations du personnel.

On aurait pu s’attendre à ce que les députés, décidant d’une nouvelle charge, accroissent le budget alloué à la justice du montant de cette dépense additionnelle. Ce n’est pas le cas : celui-ci reste fixé à 10,8 milliards d’euros pour 2027. L’augmentation d’1,2 milliards d’euros annoncée en 4 ans sera donc pour l’essentiel consacrée à la construction pénitentiaire.

Construction de la nouvelle prison de Gradignan en 2022

Le nombre de nouvelles places de prison est déjà sous-dimensionné

Il y avait au 1er juillet 2023 74 513 personnes détenues, en hausse de 3,4% sur l’année précédente. Si on applique ce taux de croissance chaque année pendant 4 ans, on aboutit au chiffre de 85 175 prisonniers à héberger en 2027. Or, la capacité opérationnelle serait portée, si le programme se réalise intégralement, de 60 666 places à 78 666. La surpopulation perdurerait donc !

Il faut aussi prendre en compte que la surpopulation carcérale concerne les maisons d’arrêt, pas les établissements pour peine. Il y avait même, en juillet 2023, 16 643 places inoccupées. Est-il opportun de construire 18 000 nouvelles places, alors qu’il y a tant de cellules vides ?

 

Il n’y aura pas assez de surveillants

L’administration pénitentiaire souffre d’un manque chronique de personnel. La surcharge de travail entraîne un fort absentéisme. Beaucoup de jeunes surveillants démissionnent après quelques mois.

Des mesures ont été prises pour revaloriser la fonction de surveillant : augmentation de salaires et classification en catégorie B de la fonction publique au lieu de la catégorie C. L’effet de ces mesures n’est pas certain. Attireront-elles davantage de candidats ? Elles auront un effet contraire immédiat : le concours d’accès à l’École nationale d’administration pénitentiaire ne sera accessible qu’aux titulaires du baccalauréat. Il est ouvert actuellement aux titulaires du brevet des collèges, et un député a remarqué qu’étaient admis au concours des candidats jusqu’à 3/20 de moyenne.

Le projet de loi de programmation prévoit l’embauche de contractuels, pour une durée de 3 ans renouvelable une fois. Ces « surveillants adjoints » devront avoir entre 18 ans et 30 ans. Le rapport annexé au projet de loi  indique que « ce nouveau vecteur de recrutement permettrait, pour les postes demeurés vacants à l’issue des concours de surveillants, de recourir à une ressource humaine de proximité en proposant des emplois dans des établissements pénitentiaires correspondant aux bassins de vie des agents recrutés. Les missions attribuées aux surveillants adjoints contractuels, qui interviendront aux côtés des surveillants pénitentiaires, seront circonscrites à certaines tâches limitativement énumérées. »

Des questions se posent sur la formation de ces contractuels et leur intégration dans les établissements pénitentiaires.

L’échéance de 2027 est irréaliste

Le programme des 15 000 places a démarré il y a six ans. Seulement 3 951 places « brutes » ont été livrées, et 2441 places « nettes », c’est-à-dire ne venant pas en substitution de places dans des prisons anciennes détruites : soit 14% du programme nouveau de 18 000 places.

Il reste donc 4 ans d’ici 2027 pour réaliser 86% d’un programme censé s’étager sur 10 ans. La probabilité que cela advienne est minime.

 

Bravo, mais pas chez moi

Un amendement adopté par les parlementaires conditionne la construction des 3 000 places en plus du programme de 15 000 places à « la délivrance par les collectivités locales des autorisations d’urbanisme nécessaires ».

Beaucoup de maires s’opposent à la construction d’une nouvelle prison dans leur territoire : peur d’une montée de l’insécurité, crainte d’une baisse de la valeur des terrains…

Un cas emblématique est David Rachline, membre du Rassemblement National qui souhaite la construction de 20 000 places de prison, mais s’oppose au projet de construction dans la commune dont il est maire, Fréjus. Bravo, mais pas chez moi !

 

Changer de logique

Construire de nouvelles prisons est décidément absurde. Aux Pays-Bas et en Allemagne, c’est une diminution du nombre de détenus qui est en cours. Les objectifs affichés sont les mêmes qu’en France : punir les délits et les crimes, garantir la sécurité publique, permettre à ceux qui ont fait fausse route de s’intégrer dans la société.

18 000 places de prison de plus ? Pourquoi pas 18 000 prisonniers de moins ?

Le Ministre de la Justice devant le Parlement

 

Une réflexion sur « Nouvelles places de prison : voyage en absurdie »

  1. Bonjour Xavier
    Merci pour ce commentaire pertinent dont je partage complètement l’analyse
    Bravo pour ton engagement continue à l’ANVP

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