Offensives trumpiennes

« Transhumances » reproduit ici un texte de Pierre-Yves Cossé, ancien Commissaire au Plan. Il y analyse les offensives de la présidence Trump en Ukraine, en matière douanière, dans le monde et contre la Constitution des États-Unis. Il évalue les contre-offensives prévisibles, à court ou moyen terme.

Sur le plan international, le monde vit ce qui est appelé dans les livres d’histoire un renversement d’alliances. La France en a déjà connu. A la fin du dix-huitième siècle, l’Autriche a cessé d’être l’ennemi héréditaire et la Prusse est devenue l’adversaire pour plus d’un siècle. Plus près de nous, le pacte germano-soviétique Ribbentrop/ Molotov de l’été 1939 est un brutal retournement d’alliances.

Offensive en Ukraine

Préparé par les diplomates dans la discrétion, sans éclats de voix, le renversement provoque un changement durable dans les rapports de forces. En 2025, le renversement, préparé depuis plusieurs années, est scandé par des déclarations publiques et les éclats du nouveau président des Etats-Unis, mettant en avant des préférences personnelles : amitié pour le dictateur Poutine et haine pour le démocrate Zelensky. Il a été formalisé par le vote conjoint à l’ONU des Etats-Unis et de la Russie sur l’Ukraine, à la stupéfaction de ses anciens alliés, déjà secoués par l’admonestation du Vice-Président Vance à Munich.

Entretien Zelensky – Trump

Son premier effet est sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine, où l’Ukraine, devenue l’envahisseur, doit se déclarer défaite et être punie en cédant aux exigences des nouveaux alliés, les Etats-Unis et la Russie.

Les pays européens sont trop faibles pour résister aux foucades de leur Protecteur traditionnel. Le rapport de forces est en leur défaveur. Ils ne disposent ni de structures adéquates, ni de moyens militaires suffisants, ni de la volonté nécessaire. Le réarmement des pays européens est affaire de décennie et non de quelques mois. Ils ne sauraient être un substitut aux Etats-Unis dans le domaine militaire.

Les plus courageux, France, Royaume-Uni, Pologne, et Allemagne (quand elle aura un gouvernement) ont une ambition plus modeste. Ils se proposent d’assurer une paix durable en Ukraine après le cessez-le feu, en la faisant surveiller par des contingents militaires, qui indirectement bénéficieraient de la protection des Etats-Unis. Emmanuel Macron s’est déplacé à Washington pour essayer en vain d’arracher des « garanties » précises ; il a tenu sa place avec professionnalisme mais disposait de peu d’atouts dans son jeu. Au moins, sur le plan physique, il laisse l’image d’un homme d’État tenant tête (mieux que le Daladier de 1938 à Munich subissant muet et apeuré les diatribes d’Hitler). Il est peu probable que Trump accorde à un autre dirigeant européen ce qu’il a refusé au Français.

Guerre en Ukraine

Après de multiples rebondissements, un cessez-le feu devrait être signé. L’Ukraine serait obligée d’abandonner des territoires, correspondant approximativement aux lignes actuelles des combats, puisque la disparition de l’aide militaire américaine l’empêcherait de poursuivre durablement le combat.

Les « garanties » seraient celles tolérées par « l’ami Poutine » Elles ne sont nullement exclues, car « l’ami » a aussi besoin d’un cessez le feu. La Russie est épuisée par trois ans de guerre. II lui faut une période de calme, entre cinq et dix ans pour se refaire, ce qui exclut une nouvelle aventure militaire significative (sauf quelques babioles comme la Géorgie et la Moldavie, qui pourraient devenir de petites Biélorussie). Elle se doit d’être compréhensive avec ses voisins, pour obtenir la fin des sanctions. L’Europe finirait par faire comme si elle était convaincue, pourvu qu’elle conserve un minimum d’appui de son ancien allié.

Offensive tarifaire

Un second effet du renversement d’alliances concerne les relations économiques. Il n’y a plus d’alliés dont on assure la sécurité moyennant une tutelle plus ou moins pesante selon les circonstances et les pays. Il n’y a plus qu’une collection de pays distincts, qu’il faut pressurer au maximum à partir du levier des « tariffs » (le plus beau mot de la langue anglaise). Pas plus que dans le domaine militaire, les pays européens sont préparés à une contre-offensive cohérente dans le cadre de leur Union. Trump cherche à négocier avec chacun des vingt-sept pays.

Cargos transitant par le canal de Panama

Beaucoup y sont prêts, estimant qu’ils ont, eux aussi, des « métaux rares » pour appâter la puissance la plus forte du Monde. Le Royaume-Uni, fort de son Brexit et de sa « relation spéciale » avec son ancienne colonie, négociera la première. Puis des membres de l’Union, comme l’Italie, la Hongrie ou la Slovaquie se précipiteront au guichet. Dans les pays les plus fragiles (Bulgarie, Roumanie…), la corruption serait un lubrifiant. Puis les derniers suivront. Des arrangements juridiques devront être trouvés avec l’Union européenne. Sous la bannière de « tarifs réciproques » seraient signés un ensemble baroque d’accords, avec des perdants et des gagnants, dont l’effet global sur l’économie international serait négatif : hausse des prix, mise en cause des circuits traditionnels, contraction des échanges et ralentissement de la croissance.

Offensives dans le monde

En dehors de l’Europe, les offensives trumpiennes seront empreintes de prudence. Prudence avec le tout puissant dictateur chinois, respecté pour sa force et son rejet de la démocratie. Trump cherchera avant tout à éviter une guerre, incompatible avec les deals et, même si le vocabulaire est agressif, son objectif sera de développer les relations économiques, déjà étroites et importantes. Il faut que les Tesla fabriquées à Shangaï et les produits d’ Apple continuent à se vendre. Les mots d’ordre seront réciprocité et investissements. Xi Jinping pourrait très bien entrer dans ce jeu, sauf désordres à l’intérieur de la Chine, qui favorise la poursuite du développement économique. Taiwan attendra, les dictatures jouant sur le temps, un temps qui permettra le renforcement de la supériorité militaire.

L’Afrique n’intéressant pas Trump, aucune offensive n’est à prévoir. La Chine et la Russie pourront continuer d’y’accroitre leur présence, au détriment des anciennes puissances coloniales.

L’échec de l’offensive trumpienne en Corée du Nord sous le premier mandat, incitera à l’inaction sous le second, sauf provocations insupportables de son Grand Leader, toujours possibles.

Netanyaou et Trump

Il n’y a qu’au Moyen Orient que l’offensive trumpienne en restera largement au stade des mots. Gaza ne sera pas transformé en une nouvelle Côte d’Azur, de même que la Corée du Nord ne s’est pas transformée en une suite de stations touristiques. Aucun groupe financier n’acceptera d’investir dans une zone d’insécurité. Un début de transfert de population ne peut être exclu. l’Égypte et la Jordanie, ne pouvant vivre sans l’aide financière américaine, s’inclineront, comme l’Ukraine, sans que ce projet démesuré aboutisse complétement. Il pourrait servir à l’accueil de Cisjordaniens chassés de leur pays, suite à l’’annexion par Israël, autorisée par Trump, qui engendrera de grands désordres. Comme avec ses prédécesseurs, la politique de soutien exclusif à Israël ne permettra pas de parvenir à une paix durable.

Si sur le plan international, « les offensive trumpiennes » ont de bonnes chances d’être majoritairement victorieuses, il l n’en va pas de même sur le plan intérieur.

Offensive contre la Constitution des Etats-Unis

Ce qui est amorcé aux Etats- Unis (pas de simples discours tonitruants mais des faits qui se succèdent jour après jour) c’est un changement de régime, la fin du « check and balances », bref une révolution. La paralysie des Agences, l’épuration de leur personnel, se fait dans des conditions illégales. Elles ont été créées et financées à la suite de votes du Congrès et toute modification est soumise à l’accord de ka Chambre des Représentants. Or le congrès à majorité républicaine, en ne jouant pas son rôle, bafoue la Constitution, qui aux Etats-Unis, beaucoup plus qu’en France, est depuis les origines vénéré par tous les citoyens qui ne cessent de s’y référer.

La Cour Suprême, Washington

Reste la justice. Il est des juges – surtout des femmes – qui bloquent des décisions, mais l’exécutif fait appel ou ne tient pas compte des jugements rendus. Un jour, la Cour Suprême se prononcera, mais, compte tenu de sa majorité trumpiste, il n’est pas assuré qu’elle arrête les abus de pouvoir de l’exécutif.

Un jour aussi, comme dans les films, des lonely cow-boys (ou girls) des petits juges ou autres citoyens courageux seront de plus en plus nombreux à se battre contre les décisions illégales prises par un milliardaire, Elon Musk, qui ne rend compte qu’au seul Président. Seront-ils assez nombreux pour enrayer le système ?

Des contre-offensives plus ou moins proches

Dans moins de deux ans, les mécontents pourront s’exprimer lors des élections du Midterm. Un succès des Démocrates, actuellement anesthésiés, est plausible. Mais plus plausible, avant cette échéance, une dégradation de la situation économique et financière telle, que Trump, un pragmatique, serait obligé d’atténuer fortement le trumpisme (it’s the economy, stupid).

  • Le Stock Exchange à New-York

La Bourse, (qui joue un rôle beaucoup plus important qu’en France) serait le premier revers apparent (les indicateurs boursiers sont les seuls chiffres que lit chaque jour le président). L’imprévisibilité, le caractère chaotique et désordonné, voire contradictoire, des initiatives présidentielles feraient peur à des marchés qui baisseraient et dont l’instabilité serait croissante. Le président pourrait avoir la tentation d’exiger de la Banque Fédérale une baisse des taux d’intérêt, mais une pression trop forte serait mal perçue par les Marchés. Une autre tentation serait de provoquer la baisse du cours du dollar en vue d’ accroitre la compétitivité-prix des exportations (la contrepartie étant une hausse du prix des importations accélérant celle due au relèvement des droits de douane). Ces manœuvres se heurteraient à une opposition, à la fois de la Banque Centrale et des investisseurs étrangers que l’on cherche à attirer.

La crise boursière serait alimentée par un mécontentement des consommateurs et des producteurs. Le mécontentement des consommateurs serait lié à la hausse des prix suscitée par celle des droits de douane et à des difficultés d’approvisionnement. Les entreprises s’adapteront difficilement aux modifications des circuits productifs et au manque de main d’œuvre, conséquences de l’expulsion aveugle de travailleurs étrangers et de la hausse des droits de douane. Quant aux avantages d’une éventuelle réindustrialisation, ils ne peuvent pas être immédiats. Restent les baisses d’impôts (des chèques distribués aux contribuables ?) qui viendraient grossir un déficit déjà historique et serait une inquiétude supplémentaire pour les milieux financiers et les organismes de notation.

Ces désordres financiers et économiques auraient des effets défavorables dans le monde entier et réduiraient l’influence des Etats-Unis. Le Président américain, accroché à un pouvoir qui lui vient de Dieu et prêt à faire un troisième mandat (ce que la Constitution interdit) serait contraint à une politique d’apaisement et de conciliation, pour garder le pouvoir. Personne ne peut dire ce que serait un Trump « normalisé ». Accepterait-il d’exercer son pouvoir dans les limites de la Constitution et de revenir sur les débordements de l’exécutif au détriment du législatif et du judiciaire ?

Il lui faudrait ou se soumettre, ou se démettre, ou aller plus loin dans l’illégalité. La réponse est dans les mains des descendants des Pilgrim Fathers et des autres immigrés, libres ou esclaves.

Ce texte est publié avec l’accord de son auteur, Pierre-Yves Cossé

Une réflexion sur « Offensives trumpiennes »

  1. Je me demande si les Démocrates sont vraiment anesthésiés. Lu récemment le conseil seul d’un ancien conseiller de Clinton aux partis d’opposition et autres organisations susceptibles de réagir aux décisions trumpiennes : ne contestez pas, laissez cette administration imploser toute seule. Ce qui revient à laisser la critique et l’action venir des acteurs financiers et économiques comme le suggère Pierre-Yves Cossé. L’analyse internationale fait froid dans le dos. Une fissure est en effet apparue dans le couple Franco-britannique au sujet de la trêve.

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