Varekai, Cirque du Soleil

100131_varekai4.1264973617.jpg

  Le Cirque du Soleil donne au Royal Albert Hall de Londres Varekai, un spectacle total qui associe art du cirque, chorégraphie et musique.

Varekai est le quatorzième spectacle du Cirque du Soleil, qui se définit lui-même comme « un mélange théâtralisé des arts du cirque (sans animaux) et de la rue, appuyé par des costumes loufoques et saugrenus, des éclairages magiques et une musique originale ».

C’est véritablement une superproduction, avec plus de soixante musiciens, clowns, jongleurs, acrobates, danseurs. La machinerie est impressionnante : en arrière de la scène, un décor de tiges de bambou évoque la forêt et camoufle partiellement l’orchestre. Un plateau tournant, des trappes dont s’échappent des fumées et qui engloutissent les personnages, des jeux de lumières créent un sentiment d’irréalité que viennent souligner les costumes improbables des personnages. Au dessus de la scène, une passerelle métallique sert de support aux trapèzes, cordes, tissus, filets utilisés par les acrobates au cours du spectacle et donne à l’action une dimension verticale.

Le génie du Cirque du Soleil est de transposer dans l’esthétique et la sensibilité contemporaines la magie du cirque, faite de jongleurs, de clowns, de trapézistes, de contorsionnistes. Les accessoiristes eux-mêmes participent de la chorégraphie et font disparaître les objets comme par magie. Le spectacle est multidimensionnel. Il se joue littéralement dans les trois dimensions spatiales, mais aussi dans les couleurs et dans les sonorités. Il est radicalement multiculturel, non seulement parce que les membres de la troupe viennent des cinq continents, mais aussi parce qu’il emprunte aux traditions artistiques et musicales d’Europe, d’Amérique, du Moyen Orient, d’Afrique et d’Asie.

Les numéros d’acrobatie sont exécutés avec une extraordinaire virtuosité, mais sont aussi sublimés par la polychromie des costumes et le rythme de la musique et du chant. Les numéros de clown, un grand classique du cirque, sont totalement innovants et franchement désopilants : un prestidigitateur est affligé d’une partenaire qui glisse, trébuche et transforme chaque tour de magie en une hilarante catastrophe ; un crooner interprète une chanson de Jacques Brel et court d’un endroit à l’autre de la scène à la poursuite d’un faisceau de projecteur fantasque.

Il n’y a ni trois coups frappés ni rideau ouvert pour marquer le début du spectacle. Des personnages bizarres apparaissent un à un sur la scène, et le projecteur suit l’activité « d’ouvreurs » atypiques munis d’un plumeau pour dépoussiérer les sièges et le crâne chauve de spectateurs. Peu à peu, on entre dans un univers magique. « En bas, une forêt dense et ténébreuse, le destin appelle, vous interpelle. En haut, une luciole voltige. Soudain, le ciel s’ouvre laissant une brise, douce et invitante, courir jusqu’à vous. Le temps d’un soupir, vous êtes soulevé dans les airs, emporté, transporté, un instant plus tard, vous êtes déposé délicatement dans les bras de créatures de l’abîme… mystiques et espiègles habitants des ténèbres, mais n’ayez crainte ; peu importe où le vent vous emporte, vous serez toujours chez vous. »

Le Cirque du Soleil nous invite à une quête, à errer allègrement, à considérer que c’est une chance que de ne pas trouver ce que l’on cherche, à considérer la crise comme un rite de passage. Dans notre loge du Royal Albert Hall, à l’entracte de Varekai, un jeune homme s’agenouille devant son amie et lui offre une bague de fiançailles. Nous sommes conscients de vivre un exceptionnel moment de poésie et d’apesanteur.

(Photo du spectacle Varekai, www.cirquedusoleil.com)

Chris Ofili

100130_chris_olifi_holly_virgin_mary.1264888977.jpg

 Une exposition consacrée au peintre britannique d’origine nigériane Chris Ofili s’est ouverte au Tate Britain à Londres. Pour beaucoup de visiteurs, c’est une véritable révélation.

Né à Manchester en 1968, formé à Londres, Chris Ofili s’est fait connaître dans les années quatre vingt dix par ses grandes toiles inclinées, éclatantes de couleurs, à base de collages, de résine, d’épingles et de paillettes, avec une signature africaine : le crottin d’éléphant. Dans le Financial Times, Jackie Wullschlsager écrit : « être noir est essentiel à l’art d’Ofili comme être juif l’était à celui de Chagall, ou être gay l’était à celui d’Hockney. Tous les trois ont su d’une manière exceptionnelle inventer un nouveau langage visuel pour cette expérience qui guidait le chemin de leur peinture. L’utilisation par Ofili du crottin d’éléphant  – qui suggère le pouvoir noir, la chair noire, les mauvais traitements au peuple noir – est plus qu’un gadget déstabilisant, il équilibre sa douceur décorative et permet ainsi une méditation sur la beauté. »

Le centre de l’exposition est occupé par une installation conçue et réalisée conjointement par Ofili et l’architecte David Adjaye, appelée « la salle haute ». Il s’agit d’une longue salle voûtée de bois. A gauche et à droite sont alignés douze tableaux représentant des singes levant une coupe, chacun réalisé avec une couleur vive. Une toile plus grande est exposée sur le mur du fond. Elle présente « le singe d’or », celui vers lequel se tourne le regard de tous les autres. Le symbolisme eucharistique est ici évident : douze personnages, la chambre haute, les coupes. Ofili a reçu une éducation catholique, et interprète à sa façon la tradition biblique. Une de ses toiles, aussi présentée à la Tate, est intitulée « la Sainte Vierge Marie » et avait fait scandale aux Etats-Unis : la Vierge est africaine, des vignettes découpées de magazines pornographiques occupent la place traditionnelle des putti dans l’imagerie religieuse et, naturellement, un crottin d’éléphant s’est invité sur la toile. Le thème marial aussi est implicitement présent dans une œuvre intitulée selon la chanson de Bob Marley « no woman no cry » : une femme pleure la mort de son fils assassiné par la police. C’est une vraie piéta, d’une sensibilité magnifique.

En 2005, Chris Ofili a élu domicile dans l’île de Trinidad aux Caraïbes. Son style évolue. J’ai trouvé extraordinaire une série d’aquarelles intitulées Afromuses. Les corps et les chevelures sont noirs. Il y a le blanc des yeux, le bleu des plissures de la peau, le rouge des lèvres, quelques bijoux d’émeraude ou d’opale. Cette peinture est physique, musicale et sensuelle.

Alors que commence l’exposition Ofili au Tate Britain, s’achève l’exposition Turner et ses maîtres. Trésors du passé, promesses d’avenir.

(Photo The Holy Virgin Mary, Chris Ofili 1996. www.tate.org.uk).

Suicide assisté

1100129_kay-gilderdale-and-her-daughter.1264797875.jpg

 En Grande Bretagne, Kay Gilderdale a été reconnue par un tribunal non coupable de complicité d’assassinat sur la personne de sa fille, qu’elle avait aidée par compassion à se suicider. Quelques jours plus tôt, Frances Iglis avait été condamnée à huit ans d’emprisonnement pour avoir tué son fils handicapé cérébral d’une overdose d’héroïne. Le débat sur le suicide assisté fait rage.

La différence entre les deux cas est que la fille de Kay, Lynn, atteinte d’une maladie dégénérative, avait exprimé à plusieurs reprises le désir de mettre fin à ses jours et de ne pas être « ressuscitée » par les médecins. Elle avait explicitement demandé à sa mère de l’aider à mourir. Le tribunal avait reçu de multiples témoignages de l’amour de la maman pour sa fille. Fait exceptionnel, une fois l’acquittement prononcé, le président du tribunal a reproché au procureur d’avoir engagé des poursuites.

La loi anglaise ne reconnait pas l’assistance au suicide. Mais Debbie Purdy, une malade atteinte de sclérose, a obtenu il y a quelques mois une décision de justice obligeant le Parquet à préciser les critères selon lesquels une personne aidant un être cher à mourir ne pourrait être poursuivie. Le « director of public prosecutions », Keir Starner, a ainsi rendu publics 13 critères :

1- La personne décédée avait un clair désir de mourir, qui n’avait pas varié au cours du temps.

2- La personne décédée avait indiqué très clairement qu’elle voulait se tuer. La personne qui l’a aidée n’avait aucun doute que tel était son désir.

3- La personne décédée avait demandé directement son aide à la personne qui l’a aidée, et elle l’avait demandée de sa propre initiative.

4- La personne décédée pâtissait depuis toujours ou depuis longtemps une maladie qui allait la tuer ou un handicap très sérieux qui n’allait pas s’améliorer ou un très sérieux problème de santé qui ne pouvait qu’empirer.

5- La personne qui a aidée l’a fait totalement par amour et par souci de la personne qui est morte.

6- La personne qui a aidé était un mari, une femme, un partenaire, une relation proche ou un proche ami et avait une longue relation aimante avec la personne décédée.

7- La personne n’a donnée qu’une aide modeste. Ou l’aide qui a été apportée était une part normale, légale de son travail.

8- La personne décédée n’aurait pu se tuer par elle-même.

9- La personne qui a aidé avait essayé de dissuader la personne de vouloir mourir.

10- La personne décédée avait cherché toutes les options pour un traitement ou une cure adaptés à sa condition ou à sa situation.

11- La personne décédée avait essayé de se tuer elle-même auparavant et il était très probable qu’elle aurait recommencé.

12- La personne qui a aidé ne voulait pas que la personne meure. Elle n’a aidé que parce que la personne voulait vraiment se tuer.

13- La personne qui a aidé a donné à la police toute l’aide dont elle avait besoin pour découvrir ce qui s’était passé.

Photo The Guardian, Kay Gilderdale et sa fille Lynn.

Voir www.guardian.co.uk/uk/2010/jan/25/mercy-killer-kay-gilderdale-cleared

Mariza

100127_mariza2.1264625753.jpg

 La chanteuse de Fado portugaise Mariza vient de donner deux concerts au Royal Festival Hall de Londres.

La silhouette de Mariza est reconnaissable, mince, immense, chevelure blonde coupée court, de longues mains qui définissent, griffent et caressent l’espace. Elle porte une longue robe noire, une couleur qui évoque l’Afrique de sa maman mozambicaine et dénote l’âme portugaise. Il y a trois sortes de tristesses en Europe, dit-on, la russe, la hongroise et la portugaise.

La voix de Mariza exalte la langue portugaise, qui a partie liée avec les océans : mouvements de houle au gré des diphtongues, vagues s’échouant chuintantes sur la grève, souffle des mots qui viennent doucement mourir sur une voyelle muette.

La chanteuse est accompagnée de cinq musiciens exceptionnels : trois guitaristes virtuoses du Fado, mais aussi un percussionniste et un pianiste trompettiste avec qui elle s’avance sur des territoires musicaux plus modernes. Ils sont tous si brillants que lorsqu’elle les laisse à certains moments seuls en scène, le public les applaudit à tout rompre.

Le public est enthousiaste. Il y a là beaucoup de Portugais, naturellement, des Espagnols, des Latino-américains. Les Britanniques sont nombreux. Le Portugal est l’une de leurs destinations de soleil favorites et ils ont adopté Mariza. Entre la salle et l’artiste le courant passe, et ce moment est électrique.

(Photo : Mariza, www.mariza.com)