Epiphanie

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 L’Angleterre est recouverte par une épaisse chape de neige. Il en résulte d’innombrables tracas, mais assister à la transformation soudaine d’un paysage familier en tableau abstrait, sourd et lumineux, est magique : une véritable Epiphanie !

Pendant une bonne partie de la journée du 6 janvier, il a neigé sur le sud de l’Angleterre. La vie quotidienne des londoniens est devenue plus compliquée : l’attente de trains indéfiniment retardés sur des quais de gare glacés, la crèche ou l’école des enfants fermés, des embouteillages inextricables, des vols annulés. L’association britannique des assureurs, ABI, conseille de ne pas attendre au chaud pendant que dégivre la voiture : par dizaines, des bandits se mettent au volant et volent les véhicules !

Malgré les contrariétés, il règne une atmosphère presque joyeuse. En l’espace de quelques heures s’opère une mutation du cadre de vie : les rues sombres, les briques, l’asphalte et le béton s’effacent peu à peu. Un décor immatériel s’installe, lumineux bien qu’écrasé par le ciel bas. Au lieu des angles, des courbes voluptueuses. Le vacarme urbain est absorbé, atténué. Les gros flocons virevoltent lentement et semblent apporter une manne de bonne fortune. Au petit matin, Cassiobury Park est pénétré d’une pâle lumière bleue jusqu’au faîte des arbres chargés de neige.

Epiphanie, fête traditionnellement célébrée le 6 janvier, signifie « Manifestation ».  Un autre pays, d’une blancheur immaculée, s’est manifesté hier. 

(Photo : The Guardian)

 

Hampton Court

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 Le château de Hampton Court est étroitement lié à l’histoire d’Henry VIII et de son Chancelier le Cardinal Thomas Wolsey.

J’ai rendu compte dans un précédent article du roman d’Hilary Mantel, Wolf Hall. Une visite à Hampton Court, un superbe château construit dans une boucle de la Tamise en amont de Londres me replonge dans l’atmosphère du livre. Le château actuel comporte une belle partie baroque construite par Christopher Wren, l’architecte de la Cathédrale Saint Paul entre 1689 et 1702. La partie la plus ancienne fut construite par le Cardinal Wolsey et agrandie par Henry VIII.

Mantel évoque un divertissement donné dans la grande salle d’Hampton Court quelques jours après la mort de Wolsey, survenue en novembre 1530. « Le divertissement est celui-ci : une grande silhouette écarlate, couchée, est traînée sur le sol, hurlante, par des acteurs habillés en démons. Il y a quatre démons, un pour chaque membre de l’homme mort. Les démons portent des masques. Ils ont des tridents avec lesquels ils piquent le cardinal, le faisant se convulser et se tordre et supplier  (making him twitch and writhe and beg) ».

(Photo : cheminées du Palais d’Henry VIII à Hampton Court, 3 janvier 2010)

Tics de langage des journalistes français

Le journaliste du Times Charles Bremner vient de publier dans le Times un charmant article intitulé « French clichés to avoid like la peste ».

L’auteur s’en prend avec humour, et non sans remarquer que les Anglais sont d’aussi grands consommateurs de clichés que nos concitoyens, aux tics de langage de la presse en France.

En voici un florilège, avec des traductions proposées par Bremner :

La cerise sur le gâteau /  Dans la cour des grands / Le vent en poupe / Un pavé dans la mare [a cobblestone in the pond -set the cat among the pigeons] / Caracoler en tête [to prance in the lead, to be far out front] / Attendu au tournant [awaited at the bend, lying in wait for someone] /  Revoir sa copie [revise his (exam) copy, sent back to the drawing board] / L’ironie de l’histoire [an irony of history, or just ironically] / La balle est dans leur camp [The ball is in their court] / La partie émergée de l’iceberg [The tip of the iceberg] /  A qui profite le crime [Who profits from the crime?] / Les quatre coins de l’Hexagone [the four corners of France (The Hexagon is journalistic variation for France)] / S’enfoncer dans la crise [plunge deeper into (the) crisis] / Une affaire à suivre [a matter to be followed/a story to watch].

L’article a suscité des dizaines de réactions. Des lecteurs enthousiastes ont proposé : « que du bonheur ! », « je vais être honnête avec vous ! », « persiste et signe », « nos chères têtes blondes », « il faut savoir raison garder », « il ne passera pas l’hiver », « ce qui fait le buzz cette semaine, c’est… », « au grand dam de », « passer en boucle », « c’est vrai que », « effectivement », « au jour d’aujourd’hui »…

Et John O’d propose cette petite phrase à base de clichés :

« Allez,viens [come on, let’s go]
je ne te cache pas que [I don’t mind admitting that]
‘effectivement’ [in fact]
elle a refait sa vie [she has got over the divorce]
et que depuis des lustres [for ages now]
elle file le parfait amour avec [she’s happily loved up with]
un jeune artiste qui n’a pas encore trouvé son public [a young artist whose work nobody buys]. »

Un débat anime les participants au blog. Comment traduire en français « a couple of cherries short of a clafoutis » ?

(http://timescorrespondents.typad.com/charles_bremner/2010/01/french-clichés-to-avoid-la-peste.html)

Prenez soin de vous

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L’exposition de Sophie Calle « Talking to strangers » s’achève aujourd’hui au centre culturel de Whitechapel à Londres.

Sophie Calle, 57 ans, installée à Malakoff, est connue pour ses installations photographiques et cinématographiques. L’exposition « Talking to strangers » inclut « Prenez soin de vous », qui fut présentée en français à la Biennale de Venise en 2007.

Sophie reçoit de son amant un message électronique annonçant la rupture de leur relation. Elle le donne à interpréter à 107 femmes, dont certaines sont des célébrités, comme Arielle Dombasle, Mazarine Pingeot ou Florence Aubenas, d’autres des spécialistes reconnues dans leur discipline, d’autres enfin des femmes ordinaires, comptable, lycéenne, institutrice ou traductrice.

L’exposition s’ouvre sur une galerie de portraits des correspondantes de Sophie, chacune dans son environnement propre, chacune avec son propre caractère et sa propre lumière.

La salle centrale est consacrée à l’expression d’artistes, chanteuses ou comédiennes sur un mur d’écrans de télévision. Elles lisent ou chantent la lettre adressée à Sophie avec leurs propres sentiments et parfois la commentent. La partie la plus insolite de l’exposition est l’interprétation que font de la lettre des spécialistes par le prisme de leur discipline.

Une latiniste traduit le « nuntium electronicum » (courriel) en latin, en s’appuyant sur les traductions de mots modernes codifiées par le Vatican. Une traductrice explique les problèmes rencontrés lors du passage à l’anglais : comment rendre dans cette langue l’usage insolite du pluriel « vous » par un ancien amant ? Le « thou », tu, n’est plus usité dans l’anglais d’aujourd’hui.

Le panneau consacré à une tireuse d’élite consiste seulement en une copie de la lettre de rupture, trouée par un impact de balle éclairé comme un diamant. Une criminologue dresse une sorte de portrait robot de l’auteur de la lettre. Une diplomate tente de comprendre pourquoi l’amant de Sophie ne semble pas avoir eu de stratégie de négociation. Une linguiste recherche, de Platon à Fernando Pessoa des citations où sont utilisés les mots clés de la lettre, et que son auteur avait peut-être en tête, explicitement ou de façon subliminale.

Il y avait beaucoup de monde à l’exposition, jeunes et moins jeunes, fascinés.

(Photo Whitechapel Gallery)