En ce jour de Noël, je propose un conte écrit il y a sept ans dans le cadre d’une célébration de la Communauté Chrétienne dans la Cité, à Paris. George Bush n’est plus président des Etats-Unis, mais Sangatte reste un lieu de trafic, de malheur et d’espérance.
Trois hommes dégustent un whisky au bar du Star Hotel de Stockholm. Ils reviennent du Palais Royal, où vient de leur être décerné un prix Nobel pour leur éminente contribution au progrès de l’humanité. Gaspard a reçu le Prix de Médecine pour ses travaux sur la carte du génome du rat des champs. Melchior s’est vu récompenser pour la mise en évidence de la disparition des cycles dans la Nouvelle Economie. A Balthazar a été attribué le Prix Nobel de la Paix pour sa médiation dans le conflit entre la Tartarie et le Gonflustan Occidental. Remplis de légitime orgueil, les trois sommités sirotent leur Chivaz.
Melchior
Mon cher Gaspard, vos révélations sur la carte du génome du rat des champs sont stupéfiantes. Ainsi, 99% de leurs chromosomes sont communs aux humains ?
Gaspard
C’est bien cela. Notre découverte ouvre de grandes possibilités à la médecine : le rat au secours de la santé de l’homme ! Mais réduire le champ de la maladie sur le terrain de l’économie, n’est-ce pas ce que vous avez vous-même si brillamment réussi, cher Melchior ?
Melchior
Mon mérite est minime. Je me suis contenté de diriger une équipe, et tout le mérite lui revient. Nous avons établi en effet que, dans la Nouvelle Economie, le raccourcissement des délais de production tend à supprimer les cycles économiques. En somme, nous avons trouvé la recette de la prospérité pour tous et, finalement, cher Balthazar, un élixir de paix.
Balthazar
L’ambition d’un Prix Nobel de la Paix, cher Melchior, est de se trouver au chômage. Mais je crains que tartares et gonflustanais n’attendent guère avant de réactiver la guérilla. Le médiateur devra bien reprendre du service…
Dans le hall de l’hôtel, un écran géant transmet CNN. L’écran est soudain envahi comme d’une lumière extranaturelle, une étoile apparaît dans un angle et se déplace lentement. Le commentateur, comme ravi d’extase, prononce les paroles suivantes:
Un fils nous est donné,
On l’appellera Prince de la Paix
Jouez hautbois résonnez musettes
Aux confins du monde, célébrons la naissance du Messie
Les magiciens de la médecine, de l’économie et de la paix se prennent au jeu et décident de résoudre l’énigme et se mettre à la recherche du Fils, où qu’il se cache, fût-ce dans les montagnes de l’Afghanistan.
Le titre de Prince de la Paix les met naturellement sur la piste de George W Bush. Ils demandent audience à la Maison Blanche au chef de la lutte contre le terrorisme et pour le triomphe de la liberté. Hélas, ils sont mis à la porte sans ménagement. Si un Messie nous est donné, ne serait-ce pas une menace contre le Prince au pouvoir ? D’un bout à l’autre de l’empire, de Bagdad à Tucuman, commence le massacre des innocents.
L’allusion aux hautbois et aux musettes les conduit au Château de la Star Academy. Ils cherchent ce fils musicien qui enchantera le monde. Hélas, ils arrivent au moment d’une procédure d’exclusion de l’un des participants et ne parviennent pas à se faire admettre dans le château des amis.
Ils se rendent enfin aux confins du monde connu, à Sangatte, là où se concentre l’espérance d’un ailleurs, d’un plus tard, d’un mieux vivre, bref l’espérance tout court. Sous un porche, hors du centre de la Croix Rouge désormais fermé, un enfant est né. Des bergers kurdes transplantés à des milliers de kilomètres de leur troupeau jouent de la flûte et du tambourin.
« Avec les collègues, on vaquait è nos occupations. En passant sur le quai, près du wagon, on a entendu des coupas sur la ferraille et puis des cris. Il y avait des gens là-dedans ! » C’est dans ce conteneur, un Wagon plombé arrivant de Modane, en Italie, et se dirigeant vers Feignies, dans le Nord, que, dans la soirée de samedi à dimanche, des agents de la SNCF ont découvert 22 ressortissants roumains. « Ils étaient enfermés depuis des heures, probablement depuis quarante-huit heures. Ils ne savaient plus où ils étaient. Ils pensaient qu’ils étaient arrivés près de Sangatte », reprend l’agent. Pour ces Roms, trois hommes, six femmes et treize enfants, dont un bébé de 18 mois, le voyage vers un eldorado appelé Angleterre s’est terminé là, dans une gare de triage du Pays Haut. Immédiatement pris en charge et réconfortés par les gardiens de la paix du commissariat, les cheminots et les élus qui sont apporté des couvertures, des vêtements, du café, des gâteaux, les Roms, épuisés, ont passé une première nuit dans un gymnase.
Les autorités italiennes, contactées dès dimanche, avaient répondu lundi matin qu’en vertu de l’accord bilatéral de réadmission signé avec la France, elles acceptaient de recevoir les roumains. « Je ne sais pas ce que les italiens vont en faire », a confié un membre du cabinet du préfet. C’est à leur diligence ».
Gaspard, Melchior et Balthasar s’agenouillent devant le Prince de la Paix et lui apportent leurs présents : une carte génétique, une courbe parabolique, une alliance clanique. L’enfant leur sourit.
(Photo : le cortège des Rois Mages à Milan)