Le ruban blanc

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Le film « le ruban blanc » de Mikael Haneke, Palme d’Or au Festival de Cannes, sort sur les écrans à Londres. Il est fascinant.

Le ruban blanc, symbole de pureté, était celui que l’on attachait au bras des enfants reconnus coupables de péché, et aussi celui qui entravait dans leur lit la nuit les adolescents convaincus de masturbation. Cela se passait en 1913 en Allemagne, dans un village profondément luthérien, dominé par la figure d’un pasteur intransigeant et, naturellement, celle du baron propriétaire d’une grande partie des terres.

Le poids de la religion est écrasant. L’image de Dieu se superpose à des figures paternelles d’un autocratisme terrifiant. Les punitions corporelles sont courantes, les relations sexuelles hors mariage sont impensables, prendre un enfant dans les bras serait faire preuve de faiblesse.

Qui a tendu le fil de fer qui a provoqué la chute de cheval du docteur ? Qui a infligé des sévices au fils du Baron ? Qui a brûlé la grange ? Qui a torturé l’enfant handicapé mental ? Une petite fille prétend avoir des rêves prémonitoires. Que sait-elle ? Qui l’a mise au courant des plans pour accomplir ces vilénies ? La peur et la haine rôdent et accouchent d’actions monstrueuses.

Dans l’enfer, quelques purs survivent, le plus jeune fils du pasteur qui recueille et soigne un oiseau blessé, l’instituteur qui tombe amoureux de la nourrice des enfants du Baron. Tourné en noir et blanc, le film dégage une ambiance accablante. On n’est jamais témoin des horreurs qui se passent. On en est informé indirectement, quelquefois simplement par une rumeur derrière une porte fermée.

Un beau et grand film, vraiment.

 

Berlin Ramallah, d’un mur à l’autre

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L’allégresse de la célébration de la chute du mur de Berlin ne doit pas nous faire oublier que d’autres murs doivent tomber. Le mur de séparation d’Israël avec la Palestine est de ceux-là.

Vingt ans après la chute du mur de Berlin, de nombreux murs sont encore debout : celui qui sépare les deux Corée, celui qui court à la frontière des Etats-Unis et du Mexique, ou encore celui qui entoure les enclaves espagnoles au Maroc.  Le mur qui sépare Israël de la Cisjordanie comme celui qui coupe du monde la Bande de Gaza méritent une attention spéciale, deux semaines après que l’Assemblée Générale des Nations Unies a approuvé le rapport Goldstone.

Le rapport de la Commission des Nations Unies pour établir les faits sur le conflit de Gaza (15 septembre 2008 – 3 avril 2009), présidée par le juge sud-africain Richard Goldstone, a été publié le 15 septembre 2009. Etabli selon une méthodologie d’investigation rigoureuse, il comporte plus de 500 pages. Il confirme ce que les articles de presse avaient déjà relaté : la disproportion des moyens utilisés par Israël avec les buts recherchés (1.400 morts du côté palestinien, 13 du côté israélien dont 4 sous le feu ami), la destruction systématique d’infrastructures civiles, le bombardement d’un hôpital, 3.354 maison totalement détruites, les bombes au phosphore, l’obstruction à l’acheminement de médicaments et de nourriture, l’usage de civils comme boucliers humains. Le rapport dénonce aussi le bombardement à la roquette par les forces du Hamas de villages israéliens. Il estime que de part et d’autre des crimes de guerre ont été commis, et peut-être aussi des crimes contre l’humanité. Il demande que les auteurs de ces crimes soient identifiés et punis.

Depuis le début, le Gouvernement israélien a fait obstruction aux travaux de la commission. Il n’a pas permis qu’elle interroge l’Autorité palestinienne, et pas même les victimes israéliennes de l’artillerie du Hamas. Il a persuadé les Etats-Unis de s’opposer au transfert du dossier au Conseil de Sécurité. Il livre une bataille médiatique pour discréditer la Commission et les organisations humanitaires qui appuient ses conclusions : les deux premiers sites Web référencés par le moteur de recherche yahoo.com sur le rapport Goldstone sont des outils de propagande israélienne.

Le mur de Berlin, comme celui de Corée aujourd’hui, avait pour but d’empêcher les citoyens de sortir. Le mur de Palestine empêche d’entrer. Il est largement approuvé par une population qui se sent assiégée. Mais plus que le mur de béton et de barbelés, c’est la muraille psychologique construite au long de dizaines d’années qui effraie. La conviction que c’est en humiliant en permanence l’adversaire dans l’espoir de lui inoculer une mentalité de vaincu, la certitude que l’intérêt national est au-dessus des lois internationales et de la simple humanité, la doctrine des faits accomplis sont un terrible venin.

Israël s’enorgueillit justement de sa démocratie. Mais la démocratie naquit en Grande Bretagne d’un désir de transparence. Les contribuables voulaient savoir où allait leur argent, et le pouvoir du Parlement se construisit sur le contrôle budgétaire. La démocratie peut-elle survivre si la raison d’Etat s’oppose à ce que des crimes soient investigués et punis ?

(Photo www.pbase.com/yalop/fence)

Les Lloyds, marché international de l’assurance

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Malgré la crise financière, Londres reste une place financière majeure. Visiter les Lloyds permet de comprendre les raisons de son succès.

Les Lloyds ont été créés vers 1770 pour assurer le commerce maritime de la Grande Bretagne. Il se présente comme un ensemble de syndicats de souscription dont les membres sont solidairement responsables du paiement des sinistres. L’institution a subi une grave crise dans les années quatre-vingt-dix, mais a survécu en se rationalisant : ses fonds proviennent davantage de fonds d’investissement et moins de personnes privées.

Les Lloyds se sont installés il y a une vingtaine d’années dans un immeuble de béton, de verre et d’acier au coeur de la City construit dans l’esprit du Centre Beaubourg à Paris. Le rez-de-chaussée grouille de monde. Au centre se trouve le « Rostrum », structure en bois qui supporte une cloche actionnée par un « waiter » en grand uniforme rouge lorsque survient une catastrophe mondiale telle que le naufrage du Titanic ou la mort de la Princesse Diana. Un grand registre rempli à la main rend compte des sinistres des dernières semaines. Le registre des sinistres de 1909, exactement semblable à celui de 20097, est ouvert à la page du jour. Une vitrine présente des souvenirs de l’Amiral Nelson et de la bataille de Trafalgar.

L’activité se concentre sur des dizaines de tables carrées en bois. Depuis quelques années, le nom des syndicats de souscription auxquels appartiennent les tables est affiché. Cette transparence, comme l’admission, plus ancienne, des femmes dans ce saint des saints du machisme, constituent des concessions à la modernité. Aux tables sont installés les souscripteurs et leurs assistants. Les courtiers attendent leur tour sur un banc puis prennent place à un angle de la table pour présenter leurs dossiers de risques à assurer. Dans beaucoup de cas, le souscripteur, relié à son bureau par téléphone et ordinateur, prend la décision au moment même et sur place. Les séances sont normalement de deux heures, avant et après le déjeuner, qui permet aussi de parler affaires. A midi et après 16 heures, les bars sont pleins et malgré la fraîcheur de l’automne londonien, les conversations se prolongent, verre en main, jusque sur le trottoir.

Ce marché de l’assurance est à beaucoup d’égards semblable aux marchés de gros du poisson ou des fruits et légumes de Rungis. Il nous renvoie à l’origine du métier d’assureur, lorsque les armateurs vénitiens et génois recherchaient parmi les bourgeois de la ville des investisseurs capables d’assumer en contrepartie d’une prime le risque de la perte du navire et de sa cargaison dans un naufrage ou une attaque de pirates.

Cette organisation consolidée par les siècles reste efficace aujourd’hui. Tout le monde se parle en permanence, ce qui assure une grande fluidité de l’information et induit une dynamique d’apprentissage, chacun s’imprégnant de l’expérience des autres. Par ailleurs, il est facile de repérer chez les concurrents les meilleurs éléments et de tenter de les débaucher, ce qui provoque des mouvements de personnel importants entre courtiers et souscripteurs et contribue à la diffusion de la culture et des connaissances professionnelles.

Le poids de la City dans les transactions financières internationales reste très important malgré la crise financière. Cela ne se fait pas en tournant le dos aux traditions, mais en apportant au moule initial, fondé sur la rencontre physique entre négociants, les seules corrections indispensables.

(Photo Lloyds)

Industry Dinner

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  Chaque année en novembre, les assureurs crédit britanniques se retrouvent pour un dîner de gala qui n’a d’équivalent dans aucun pays au monde.

Le dîner annuel de l’industrie de l’assurance du risque commercial, de la caution et du risque politique est un événement qu’aucun cadre supérieur de compagnie ou de société de courtage ne voudrait manquer. L’invitation est lancée, au nom de la profession, par une compagnie ou un cabinet de courtage désignés par consensus d’une année sur l’autre parmi les volontaires. Elle mentionne que la réception est à 7:00pm, le dîner à 7:45pm et les voitures à 2:00am et que le code vestimentaire est « black tie », habit de soirée.

Un maître de cérémonie en habit rouge s’assure du bon déroulement des opérations. Le dîner commence par le discours du représentant de l’entreprise organisatrice et le bénédicité. Il y a environ 300 personnes installées par tables de 10, chaque compagnie ou société de courtage ayant réservé une ou plusieurs tables. Au dessert, le maître de cérémonie se transforme en commissaire priseur et met aux enchères des lots offerts par les entreprises participantes : le bénéfice ira au profit d’une « charity » (œuvre humanitaire), cette année une association d’aide aux personnes autistes. Il présente ensuite l’humoriste qui fera un one-man-show d’environ une demi-heure. Celui de l’an dernier avait été irrésistible de drôlerie et de cruauté, extrapolant la tonalité catastrophiste du discours inaugural de l’hôte de la soirée. Cette année, un autre comédien a été choisi et c’est franchement loupé : il enchaine des plaisanteries incompréhensibles pour moi, mais dont mes voisins de table m’expliquent qu’elles reposent sur une exploitation de mauvais goût des stéréotypes culturels attribués aux Gallois, aux Irlandais et aux Ecossais.

Le dîner formel s’achève vers 23 heures et commence alors ce que les participants attendent le plus : l’occasion de retrouver, au bar ou sur la piste de danse, d’anciens collègues. « L’industrie » de l’assurance crédit fonctionne à Londres comme une communauté professionnelle. Contrairement à ce qui se passe dans les pays du Continent, passer d’une société de courtage ou d’une compagnie à l’autre n’a pas l’odeur de souffre d’une semi-trahison. Progresser professionnellement en passant d’une entreprise à l’autre est au contraire vécu de manière positive : c’est accepter de prendre des risques, c’est choisir de se frotter à des environnements différents, c’est saisir sa chance. Les connexions entre les participants au dîner annuel sont nombreuses. Tous ont travaillé avec des dizaines d’autres à différentes étapes de leur vie professionnelle. Ils sont heureux de reprendre le fil de ce qu’ils ont vécu ensemble. Les meurtrissures des combats commerciaux et l’anxiété de la crise se diluent dans les vapeurs d’alcool.

(Photo Lloyds: extérieur du bàtiment des Lloyds dans la City à Londres)