Paroles d’Algérie

Ce qui vient de se passer en Algérie laisse un goût d’étrangeté et d’amertume : comment un président fantôme, malade, âgé, absent de la campagne électorale, a-t-il pu obtenir un quatrième mandat ? Le documentaire de Bruno Ulner diffusé le 15 avril sur Arte TV, jette une lumière crue sur la situation dans ce pays. 

Bruno Ulner avait reçu l’accord pour réaliser un portrait de la jeunesse algérienne. Mais une fois sur place, le matériel de tournage fut bloqué par la douane « sur ordre d’en haut ». Il revint en Algérie avec une petite caméra vidéo et son téléphone portable et réalisa son projet clandestinement. Il rencontra des jeunes à Ouargla, Alger, Tizi-Ouzou, Blida, Annaba et Oran.

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Abdelaziz Bouteflika

Quelques premières impressions en vrac : les autoroutes et les quartiers neufs des villes, la présence encore très forte des constructeurs automobiles français, l’utilisation très fréquente de mots français par des jeunes parlant arabe, malgré l’arabisation de l’enseignement depuis trois décennies.

 En 2011, des émeutes de l’huile et du sucre (protestation contre la vie chère) et des révoltes estudiantines éclatèrent, mais elles furent étouffées par un mélange de répression et de subsides. « Paroles d’Algérie » met à jour un malaise profond et persistant. Beaucoup de jeunes se sentent piégés, sans travail, donc sans revenus, donc sans logement, donc sans possibilité de se marier. La précarité est institutionnalisée, dit l’un des interviewés. Piégés aussi par l’impossibilité d’obtenir papiers et visas qui permettraient d’émigrer ou simplement de voyager. Nous sommes comme le hamster marchant dans sa roue, dit un jeune.

Le mot clé est « attendre ». On laisse passer sa jeunesse, on en fait le deuil en attendant que quelque chose se passe… L’Algérie s’est comme repliée sur elle-même : pas de touristes, pas de voyageurs, on attend, on attend. Le chanteur oranais Democratoz dit que le pouvoir a pris le parti d’écraser le sacré : la liberté, le rêve…

 On déplore l’absence d’un projet collectif. J’en viens à admirer le régime, dit une jeune journaliste d’Al Watan : il réussit merveilleusement bien à anesthésier les volontés de révolte, à casser les initiatives et à dresser les Algériens les uns contre les autres.

 Pourquoi cette anesthésie en apparence consentie ? La raison en est que l’Algérie a connu son « printemps arabe » très tôt, avec la révolution du 5 octobre 1988. Il en résulta le multipartisme et la liberté d’association. Mais aussi la victoire électorale du Front Islamique du Salut, l’annulation des élections par les militaires et une guerre civile impitoyable, la décennie noire 1991 – 2002. Les Algériens sont reconnaissants à Bouteflika d’avoir mis fin à cette horreur par une amnistie.

 Mais le travail de mémoire reste à faire. L’amnistie a mis un voile pudique sur le passé, mais le passé reste tabou en raison dans l’implication de l’armée dans les exactions. Il reste dans les consciences une crainte panique que l’horreur recommence, qu’en ouvrant la boîte de Pandore se déversent des rancœurs et des haines inexpiables que nul ne pourrait contenir. Faute de mieux, on vote pour la continuité, même si celle-ci est comateuse.

 Le film de Bruno Ulner est très sombre, peut-être excessivement partial. On peut toutefois y voir un signe d’espoir. Si certains jeunes semblent en état critique de désespoir, d’autres conservent l’énergie de lutter pour changer les choses. Et comme premier pas, ils prennent le risque de témoigner.

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