À l’approche de l’élection présidentielle, la volonté que les criminels condamnés à la prison à perpétuité n’aient aucune possibilité de retrouver la liberté – la perpétuité réelle – est bruyamment exprimée par certains candidats.
En réalité, la perpétuité réelle, ou incompressible, existe depuis 1994. La loi prévoit en effet que pour certains crimes (meurtre d’un mineur de moins de 15 ans accompagné d’un viol ou de tortures, notamment), la période de sûreté, pendant laquelle aucun aménagement de peine n’est possible, peut monter jusqu’à trente ans, voire être illimitée.
Toutefois, le condamné peut demander, au bout de trente ans, un « relèvement » (raccourcissement) de sa période de sûreté. Les conditions pour l’obtenir sont draconiennes. Le juge de l’application des peines saisit un collège de trois experts médicaux qui se prononcent sur la dangerosité du détenu avant qu’une commission de cinq magistrats de la Cour de cassation estime à son tour si oui ou non la période de sûreté illimitée peut être levée.
Droits de l’homme
L’exigence qu’un espoir de libération existe pour toute personne condamnée, même renvoyé à un futur lointain et soumis à une procédure telle qu’elle le rend théorique, est imposée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Les partisans de la perpétuité réelle réclament par conséquent que la France se retire de cette instance.
Ils entendent supprimer tout recours pour les condamnés à la perpétuité réelle, afin qu’ils meurent effectivement en prison. Ils voudraient étendre la perpétuité réelle à un plus large éventail de crimes.
La sociologue Marion Vannier, qui travaille à l’Université de Manchester, a récemment publié un livre sur la perpétuité réelle dans le cas de la Californie : « Normalizing extreme imprisonment, the case of Life without Parole in California » (Clarendon Studies in Criminology, 2021).
Dans le contexte américain, la perpétuité réelle (Life without parole, LWOP) est souvent proposée comme une alternative à la peine de mort. Il y a actuellement 55 000 prisonniers LWOP aux États-Unis et leur nombre a été multiplié par 4 en un quart de siècle. Ce que montre Vannier, c’est que l’emprisonnement pour la vie est communément considéré comme un destin pire que la mise à mort par les prisonniers à perpétuité réelle.
Rowan, 19 ans
Elle cite dans son ouvrage le cas de Rowan condamné à la perpétuité réelle (LWOP) quand il avait 19 ans. Âgé de 42 ans et incarcéré dans la prison de Sacramento, il écrivit en 2014 une lettre à Marion Vannier. En entrant dans la prison de St Quentin, « j’ai immédiatement ressenti la mort et un très fort sentiment de tristesse. Toutes les cellules me rappelaient des boîtes de sardine, avec des barres et des grilles de métal. La tristesse était si épaisse que c’était comme si elle avait des yeux et attendait l’opportunité de prendre mon corps. En arrière-fond de tout cela, il y avait la difficulté de ne jamais savoir si le cauchemar s’arrêterait (…) L’expérience est tout simplement ineffable. Il n’y a pas de mots dans le langage humain qui puisse porter ce sentiment. On n’a ni tunnel, ni lumière. On n’existe que dans une dimension séparée, comme si on flottait entre vie et mort. Flottant pour toujours, ne vous installant jamais, un nomade, un voyageur permanent vers le nulle part, emporté par le courant de l’incertitude… Vous existez simplement pour mourir ! (…) J’ai fait de nombreuses tentatives de suicide pour en terminer avec ce temps. Mes tentatives de suicide ont été, fondamentalement, une tentative pour créer ma propre fin, mon propre tunnel et ma propre lumière à la fin du tunnel. »
En 2013, un référendum sur l’abolition de la peine de mort fut rejeté par les citoyens de Californie, en partie parce que les prisonniers dans le couloir le la mort firent campagne contre son abolition. La peine capitale serait transformée pour eux en perpétuité. Leurs conditions de détention deviendraient pires, ils n’auraient plus droit aux avocats que le droit reconnaît aux condamnés à mort. De fait, Rowan, cité plus haut, n’a jamais pu payer les avocats qui auraient pu engager des procédures pour le défendre. Ils considèrent que la perpétuité réelle est vraiment une condamnation à mort. La mort sous LWOP, dit Vannier est caractérisée par une non-considération institutionnelle, un abandon et la non-prise en compte de la capacité humaine des prisonniers à changer.
En France, ce sont environ 500 personnes qui purgent une peine de prison à perpétuité.