Bernard Tapie, décédé le 3 octobre 2021, a été plusieurs fois condamné à la prison. Il a effectivement été incarcéré du 3 février au 25 juillet 1997, brièvement à la prison de la Santé à Paris, puis à Luynes, près d’Aix en Provence.
Pendant sa détention, il a écrit un livre, « Librement », publié chez Plon l’année suivante. Il y explique pourquoi il n’accepte pas la sanction qui lui était infligée. Il estime être la victime d’un complot : « la guerre – puisqu’il faut l’appeler par son nom – a commencé lorsque je suis entré au gouvernement en 1992. On aurait pu accepter le reste mais pas que je devienne ministre. C’était bien plus que ces mondes de pouvoirs enchevêtrés ne pouvaient admettre. Le vrai motif de leur coalition était bien mon insupportable singularité. Isolé, j’étais amusant. Engagé, j’étais déjà inquiétant. Populaire, je suis devenu carrément dangereux. »
Une bonne partie du livre est donc consacrée à un plaidoyer. Il reconnaît des erreurs et des faiblesses, mais donne sa version des faits. Il veut bien se reconnaître comme Robin des Bois ou Bibi Fricotin, mais pas comme le bandit Mandrin. Il ne dit mot de la souffrance des personnels des entreprises qu’il a rachetées à bas prix et qui avaient cru à ses promesses non tenues de maintenir l’emploi.
Avec le recul de près d’un quart de siècle, c’est le témoignage de Bernard Tapie sur son expérience de la prison qui retient l’intérêt. Il y a d’abord ce qu’on appelle le « choc carcéral ». Pour échapper aux journalistes, c’est dans le coffre de la voiture de son fils qu’il s’est rendu au Palais de Justice. « J’étais sûr d’avoir tout prévu, mais je n’avais pas imaginé la douleur et la souffrance qui me submergent, à cet instant précis. J’étais fier, j’étais fort, je faisais front. Et tout à coup, plus rien ».
Le voici à la Prison de la Santé. « Je n’oublierai jamais ce bruit qui referme la vie derrière moi, qui répète et amplifie toutes les condamnations que j’ai ou que je vais subir, ce bruit de couperet, d’épée, de tranchoir, ce bruit qui fait mourir avant la mort. Même lorsqu’on l’ôtera, ce fer-là restera fiché en moi (…) Approchant la chaise du mur, j’y monte pour appuyer on visage près de la fenêtre. Minuscule, la fenêtre. Je tente d’y respirer un peu d’air. Rien. J’ai l’impression de boire une nuit profonde, une nuit sans fin, une nuit à se noyer. »
Au bruit sec de la porte qui se ferme derrière lui répond l’écho des sons de la prison. « La prison n’est jamais silencieuse. Comme tous les endroits de vie collective, elle retentit de bruits incongrus, bizarres, pénibles ; elle y ajoute ses sons caractéristiques, tous métalliques, bruits de portes, d’escaliers, de gamelles, de clés, de verrous. Tous les bruits des autres prisonniers, qui parlent ou qui gueulent, qui se plaignent, qui gémissent, tous ces bruits font irruption dans ma vie, et toujours à l’instant où je les attends et les souhaite le moins. »
Dans la prison, le temps change de nature. « Je découvre aussi qu’on n’est pas seulement privé d’espace, on est privé de temps. Ce temps qui paraît infiniment long, interminable, est découpé par d’autres. Je le subis. Ma vie est rythmée par une autre volonté que la mienne. » La rédaction de son livre poursuit un objectif, « tuer le temps », « ce temps qu’on m’impose, ce temps que je ne maîtrise plus, ce temps décidé par les autres, je ne veux pas le subir ».
Le détenu Tapie entre en résistance. Tous les soirs, il s’évade en pensée et se rapproche des siens. Il refuse les facilités de la prison, la cantine qui permet d’améliorer l’ordinaire, les somnifères, les tranquillisants, les antidépresseurs. « Pour pouvoir en sortir le moment venu, il faut refuser la prison au plus profond de soi-même, ne rien en accepter, même pas les facilités. »
Il a une vision profondément négative de l’institution prison. Elle a « un rapport obscur et intime avec la mort ». La tentation du suicide est latente. « Tous les détenus le sentent : même s’ils sont là pour peu de temps et pour une affaire bénigne, la prison peut être l’antichambre de leur mort. Ils ne sont plus très sûrs de vivre. Ils baignent dans une irréalité dangereuse. »
La prison, dit Tapie, « ne prépare aucune réinsertion ; elle veille méticuleusement à l’interdire (…) La prison n’est pas faite pour protéger la société de certains individus en les privant de liberté, elle est faite pour les détruire, les anéantir, les supprimer, avec le consentement, plus ou moins avoué, d’une grande partie de la population. »
C’est bien l’institution qu’il vise. Il salue le travail des personnes qui y travaillent : « dans l’ensemble, les surveillants se sont montrés humains, soucieux de prévenir les crises chez les détenus, appliqués à faire respecter les règles sans en rajouter. »
« J’ai vécu ces longs mois, écrit Bernard Tapie, dans une société fermée, terriblement difficile. Certes, il s’agit d’une société très particulière, mais elle a ses lois, ses codes, ses pouvoirs et ses abus de pouvoir, ses phases de léthargie et ses moments de révolte ; elle ressemble bien plus qu’on ne pourrait le croire à la vraie société, la grande, celle qui envoie en prison les récalcitrants à ses règles. Et le petit monde recréé n’est en somme guère différent de celui qu’elle se donne pour modèle. »
Enfin vient le jour de sa libération. « On me disait ruiné, je suis riche, immensément riche, puisque je suis libre (…) Je redécouvre le sens des mots les plus simples : être à l’air libre. J’ai tant à vivre. J’ai tant à aimer. Librement. »