JusticeLivresSociété5 juillet 20244Que le destin bascule

Basile de Bure, journaliste, a animé les débats du congrès de l’Association Nationale des Visiteurs de Personnes sous main de justice (ANVP) à Rennes en mai 2024. Il a publié en 2022 chez Flammarion « que le destin bascule », récit qui raconte ses rencontres avec des jeunes condamnés à des travaux d’intérêt général.

Le titre du livre est tiré d’une chanson des rappeurs Booba et Ali dans leur album « Mauvais Œil ». Une playlist d’une trentaine de titres de rap, reflétant la culture des jeunes « des quartiers » est incluse à la fin de l’ouvrage. « Que le destin bascule » apparait à l’auteur comme un objectif à atteindre pour une société plus juste.

Jusqu’ici, dit Basile, élevé dans les beaux quartiers de la capitale, « l’organisation de mon monde avait toujours été régi par un principe fondateur : il y avait des méchants et des gentils. » Contacté par une organisation travaillant à la réinsertion de jeunes décrocheurs, il accepte d’animer un stage de citoyenneté principalement centré sur l’observation de la presse et de sa pluralité. Les stagiaires : des jeunes condamnés à un TIG, un travail d’intérêt général non rémunéré.

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Sur le chemin pour la première session, passant sur un pont pentu, il voit un handicapé en fauteuil roulant et s’interroge : faut-il lui prêter main forte ? « Un jeune homme traversa la rue à grandes enjambées, s’élançant vers le fauteuil avec l’aplomb de celui qui ne doute pas (…) Il ressemblait à tous les jeunes qui traînaient dans le coin, le prototype du mec avec son éternel uniforme : baskets, survêt, casquette. Les fameuses « racailles » que Sarko rêvait de nettoyer au karcher. » Lorsque les participants au stage prennent leur place, le jeune homme est parmi eux. Il s’appelle Walid. Le mur entre méchants et gentils s’effondre.

Basile anime son stage pendant cinq mois. Il souhaite prendre contact avec certains jeunes qui l’ont particulièrement intéressé pour raconter leur parcours. Plusieurs répondent à son appel, parfois avec enthousiasme. Baya a été condamnée pour un tweet envoyé inconsidérément après qu’un journaliste avait critiqué l’islam : « lui, s’il passe devant moi, j’le plante. » Gabriel a été interpellé pour rébellion par des policiers qui ont introduit dans ses affaires de la drogue ; Basile découvrira dans son enquête qu’il s’agissait de policiers ripoux.

Kaïs a été condamné alors qu’il était mineur pour des cambriolages à répétition, tout comme Julien, 300 cambriolages à son actif, spécialiste du crochetage de serrures européennes.

Ezra et Bakary ont été condamnés pour avoir participé à un trafic de drogue, d’abord pour payer leur propre consommation. « Je suis entré au four de la rue de Ménilmontant, dit Bakary. J’y suis entré à 16 ans, d’abord comme chouf, normal, puis j’ai gravi les échelons. » Joey veut comprendre « pourquoi on était pauvres ». Son désir : devenir un pianiste reconnu.

Ces jeunes ont leur origine en Algérie ou Tunisie, en Guinée Bissau ou au Sénégal, en Chine ou encore aux Antilles. Ils ont une histoire conflictuelle avec la police, étant parfois contrôlés « au faciès » plusieurs fois par jour. Conversation entre Basile et Kaïs :

  • Tu sais, moi, je ne me suis jamais fait contrôler de ma vie.
  • Jamais, jamais ?
  • Jamais
  • Mais c’est impossible…
  • j’te jure !

Il faut reconnaître que nous vivons dans le même pays, mais dans des mondes différents. Basile de Bure relate qu’Émile Durkheim expliquait l’augmentation de la criminalité par « la désagrégation de la solidarité ». De la solidarité. En serons-nous capables ?

Basile de Bure au congrès de l’ANVP

4 comments

  • Jacques

    7 juillet 2024 at 7h27

    Je suis devenu solidaire, dans le parloir du Centre de détention de Nantes, lorsque le cambrioleur professionnel qui y était incarcéré depuis cinq ans pour un cambriolage – à main armée contrairement à son habitude – m’a dit : « Monsieur Jacques, il n’y a aucune différence entre moi et vous qui n’êtes pas (encore) en prison ; il y a, ici, avec moi, en prison, des gens bien, comme vous, que certaines circonstances ont fait « plonger » » ;
    je lui ai répondu que j’étais d’accord avec lui et ce jour-là je suis devenu solidaire des « méchants et des gentils », que le contexte social, les circonstances et les événements différencient plus sûrement que ma propre organisation du monde ». Je ne vois pas le monde tel qu’il est mais tel que je suis.

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  • Basile

    5 juillet 2024 at 11h17

    Merci beaucoup cher Xavier !
    Un très bel article, publié le jour de mon anniversaire qui plus est 😉
    Amitiés,
    Basile

    Reply

    • Xavier

      5 juillet 2024 at 13h20

      Bon anniversaire Basile !

      Reply

  • Bazin Didier

    5 juillet 2024 at 7h41

    Merci Xavier
    C est par cet ouvrage que j’ai découvert Basile et que j’ai eu envie de le rencontrer..
    Merci de me replonger dans ce moment, qui m a ouvert, d autres portes.
    C est le cadeau du matin
    Belle fin de semaine
    Amitiés
    Didier

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