La direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) a publié en septembre 2023 une étude d’Alice Simon sur « les effets de l’enfermement sur les mineurs détenus ».
La chercheuse a réalisé des entretiens dans deux établissements pour mineurs et cinq quartiers-mineurs de maisons d’arrêt, dont deux pour des jeunes filles. Elle a rencontré 46 jeunes, collectivement ou individuellement, et de nombreux professionnels (éducateurs, enseignants, psychologues…). Il s’agissait d’étudier en quoi consiste concrètement l’emprisonnement pour les mineurs et ce qu’il produit sur leurs relations sociales, sur leurs corps et sur leurs émotions.
Citons quelques chiffres cités par Alice Simon. « Au 1er janvier 2023, 614 mineurs étaient détenus dans une prison française. Sur l’ensemble de l’année 2022, 3142 mineurs ont été incarcérés, dont 102 filles (soit 3,2 %). Les mineurs ne représentent qu’une petite minorité des détenus (0,9 % au 1er janvier 2023) mais aussi une faible proportion (3 % à la même date) des mineurs suivis par la PJJ. »
Plus de détention provisoire pour des durées plus courtes
Par rapport aux détenus majeurs, une différence significative est le pourcentage de détention provisoire : 61% au 1er janvier 2023, contre 31% pour les adultes. Elle s’explique en partie par une durée de détention plus faible chez les jeunes (2,8 mois en moyenne e t,9 mois en médiane, contre respectivement 8,9 et 5,3 mois pour les adultes). Enfin, on relèvera la fréquence du suicide : deux mineurs de sont donné la mort en prison en 2022 ; 147 tentatives de suicide ont été relevées en 2021.
Le rapport comporte cinq chapitres. Le premier d’entre eux porte sur l’expérience de l’isolement, d’autant plus strict que le jeune détenu est considéré comme violent et d’autant plus difficile à vivre qu’il est coupé de sa famille. Le rapport traite ensuite de la sociabilité en détention, une sociabilité sous surveillance, souvent conflictuelle. Le troisième chapitre s’intéresse à la santé des jeunes détenus, à leur prise en charge médicale, aux problèmes que pose la sédentarité à des jeunes en pleine puberté. Le chapitre suivant est intitulé « atteintes corporelles et dégradation symbolique » : la chercheuse évoque la dégradation de l’image de soi, alors que les jeunes détenus ne disposent pas de miroir et que leur corps est souvent fouillé à nu et objet de contrainte physique. Enfin, le dernier chapitre s’intéresse à la manière dont les jeunes détenus tentent de s’adapter à l’enfermement, en particulier comment ils extériorisent leur souffrance : déprimer, pleurer, « devenir fou ».
Les verbatims des entretiens avec les jeunes enfermés rendent ce rapport passionnant. Voici ce que dit Maryam, 17 ans : « C’est comme si t’étais un chien. T’as vu les chiens, ils les promènent une fois ? Même deux fois par jour, ben nous c’est une fois. Comme des chiens. On nous ouvre, tu rentres dans ta cellule, tu fais ci, tu fais ça ». Ou encore Ismaïl, 14 ans : « Pour nous, c’est un truc de fou. Enfin pour moi en tous cas c’est un truc de fou. Je rêve juste de ça, je rêve d’être avec ma mère. »
Des situations inégales
Jamal,17 ans, mineur non accompagné, souligne l’inégalité des situations en détention. « Ici les repas ça s’appelle la gamelle, comme le repas du chien. Le repas du chien. Des fois ils te passent des légumes, des fois le repas c’est dégueulasse. Mais obligé tu vas manger parce qu’y a pas droit de manger autre quelque chose. Y a que les cantines, [pour] les jeunes [qui ont] de la famille, quand des jeunes y a pas de la famille, comme moi, pas de la famille, pas de daronne et pas de papiers français, y a pas des mandats, y a pas de… Personne il a donné l’argent, seule la France va donner 20 euros à moi, il va aller cantiner quoi ? J’ai cantiné un petit peu les pâtes, un petit peu ça, un petit peu ça, une semaine, deux semaines, il va finir tout ».
La question des mineurs non accompagnés soulève celle de la communication avec eux, en particulier ceux qui ne parlent que l’arabe. Les professionnels peuvent faire appel à l’interprétariat, mais la procédure est lourde et le budget limité. Dans le quartier-mineurs d’une maison d’arrêt, la PJJ a financé un poste de médiatrice linguistique à mi-temps. Le rapport souligne que « les professionnels sont unanimes sur l’utilité de ce poste, qui est une source d’apaisement pour les jeunes et facilite le travail des professionnels. » J’introduis ici une réflexion personnelle. Il y a quelques années, l’ANVP (Association nationale des visiteurs de personnes sous main de justice) avait promu l’utilisation en détention de tablettes numériques de traduction. Ce projet, qui reposait sur la téléphonie GSM, s’était heurté à la configuration des locaux : murs épais, constructions en zones isolées mal couvertes par les réseaux, présence de systèmes de brouillage. Il semble que la généralisation d’un logiciel de traduction devrait figurer parmi les priorités de l’introduction du numérique en détention.
Le rapport de la PJJ contient beaucoup d’observations qui s’appliquent aussi à la détention des adultes. Ainsi en est-il de ce qu’il appelle « la sociabilité des barreaux », la communication de fenêtre en fenêtre en forçant la voix. Liam, 17 ans, s’exprime ainsi : « Tu les vois pas en vrai, tu parles avec quelqu’un, t’entends que le son de sa voix. Et des fois, quand tu le vois tu te dis : “Ah ouais, putain, sa voix elle collait pas avec sa tête !” [rires] C’est ça qui est marrant souvent […] tu parles avec des mecs, avec leurs voix tu t’imagines sa tête, mais nan c’est pas ça ! ».
Limiter l’incarcération des mineurs
Signalons enfin la circulation très large du hashish. Alice Simon la commente ainsi. « Comme pour les adultes en effet, « les drogues offrent un espace pouvant être vécu par les détenus comme une “respiration” » par rapport au cadre pénitentiaire qui exerce un contrôle permanent sur les personnes. L’introduction frauduleuse et la consommation de substances psychoactives constituent pour eux des moyens d’affirmer leur liberté, tout autant que des supports pour mieux vivre la détention et pour créer du lien, même si les produits sont également susceptibles de générer des tensions ». Le tabac et le cannabis occupent ainsi une place importante dans les rapports sociaux entre mineurs détenus, en tant qu’objets de trafic, mais aussi de discussions, d’échanges et de solidarité. »
Le code de la justice pénale des mineurs (CJPM), entré en vigueur le 30 septembre 2021, compte parmi ses objectifs celui de limiter le recours aux détentions provisoires. Cet objectif apparaît partiellement atteint puisqu’au 1er janvier 2023, 61 % des mineurs détenus étaient en détention provisoire, soit une baisse de 16 points par rapport à la même période en 2021. On note par ailleurs une baisse sensible du nombre de mineurs incarcérés, après un pic en 2019. On ne peut que s’en féliciter : le rapport de la PJJ trace en effet un tableau préoccupant des effets de l’enfermement sur les mineurs.
Bonjour Xavier
Très intéressant cet article, au vif de l’actualité…
Merci Xavier, pour tous ces partages
Bien à toi
Didier