Dans certaines maisons d’arrêt françaises, il y a deux fois plus de prisonniers que de places disponibles. Une loi instaurant un mécanisme de régulation carcérale semble indispensable.
Pour beaucoup de citoyens, les prisons doivent héberger tous les malfaisants. Il faudrait construire autant de places de prison que nécessaire, même si l’expérience accumulée depuis des décennies, d’un plan de construction à l’autre, montre que le nombre de personnes emprisonnées croît plus vite que celui des places disponibles.
La surpopulation des prisons génère des conditions de détention indignes qui renforcent chez les détenus un sentiment d’exclusion et d’injustice. Ils sortent de détention avec au cœur « la haine ». Ils récidivent et la mécanique infernale s’autoalimente.
Un mécanisme simple
Le Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) préconise donc, dans son rapport annuel, « l’inscription dans la loi de la régulation carcérale. Un système simple qui voit l’entrée de l’un en cellule compensée par la sortie – sous contrôle – d’un autre le plus proche de sa fin de peine, dès que la prison frôle les 100 % d’occupation. Cela a été fait en 2020, « grâce » à l’épidémie de Covid qui a vu des milliers de sorties (un peu) anticipées et a desserré (un peu) l’étau de la surpopulation qui désespère tant les détenus et leurs proches que les surveillants et directions des prisons. »
Le CGLPL évoque les tentatives de régulation carcérale qui ont été expérimentées depuis 2020 dans quelques établissements pénitentiaires. « Par exemple, un accord conclu à Grenoble entre le parquet, le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) et l’administration pénitentiaire prévoit la mise en place d’un mécanisme de régulation dès lors que la maison d’arrêt atteint un taux d’occupation de 130 %. Il est dès lors prévu de faire usage des outils dont dispose la justice pour maîtriser la croissance de la population incarcérée : libérations anticipées, aménagements de peines, ou décalage de la mise à exécution des peines. Ce texte, certes peu ambitieux car un seuil de 130 % revient à accepter un niveau de suroccupation déjà très préoccupant, mais au moins il instaurerait une réelle prise en compte de la question pénitentiaire par l’ensemble de la chaîne pénale. Mais ce dispositif ne semble malheureusement pas atteindre ses objectifs (la maison d’arrêt de Grenoble ayant un taux d’occupation de 148,3 % au 1er janvier 2022). Le CGLPL n’a pas encore évalué les effets de ces différentes expériences, mais il ne tardera pas à le faire »
L’expérience grenobloise montre qu’une approche locale au cas par cas n’est probablement pas suffisante et qu’une loi est nécessaire. Elle est toutefois intéressante car elle fait toucher du doigt les difficultés que cette loi aura à affronter, outre l’hostilité d’une partie de l’opinion publique qui hurlera au laxisme.
Des objectifs trimestriels
Le numerus clausus devrait idéalement être fixé à 100% : pas plus de personnes détenues que de places disponibles, ce qui permettrait un fonctionnement normal des établissements, améliorerait les conditions de travail du personnel de surveillance et offrirait aux détenus un accès réaliste aux soins, au travail, à la formation et aux activités sportives et culturelles. Comment y parvenir là où le taux d’occupation est actuellement supérieur à 200 % ?
La convention de Grenoble entre l’administration pénitentiaire et les juridictions prévoit un seuil de 130% d’occupation pour enclencher le mécanisme de régulation. Ne faudrait-il pas plutôt organiser la décroissance sur une période suffisante, avec des objectifs intermédiaires par trimestre jusqu’à atteindre in fine le seuil de 100% ?
Parmi les mesures mentionnées par la convention de Grenoble figure le décalage de la mise à exécution des peines. On en connait l’effet destructeur. Il n’est pas rare qu’une personne emprisonnée des mois après le jugement qui l’a condamnée ait trouvé un travail, parfois fondé une famille. Lorsque la police vient le chercher pour l’incarcérer, c’est une rupture dans une dynamique positive qui se produit.
Comme l’indique le CGLPL, il est urgent que le législateur institue un mécanisme de régulation permettant aux maisons d’arrêt de fonctionner avec un effectif normal. La loi devra préciser les mesures à mettre en œuvre et le calendrier à respecter pour réduire l’effectif des personnes emprisonnées, ainsi que les outils que l’autorité judiciaire pourra utiliser à cette fin.