France 2 a récemment diffusé un nouveau reportage de la série « rendez-vous en terre inconnue » produite par Frédéric Lopez.
Voici comment est positionnée cette émission : « une personnalité s’envole vers l’inconnu et ne découvre la destination qu’une fois dans l’avion. Elle rejoint quelqu’un qui l’attend quelque part sur la planète, pour lui faire découvrir un autre mode de vie. Mettre en lumière et entendre la parole d’hommes et de femmes qui vivent dans des zones particulièrement reculées, comprendre leur culture, leur religion, partager leur vision optimiste du monde, telles sont les intentions de « Rendez-vous en terre inconnue ». La magie naît de cette rencontre improbable et de la connivence entre ces êtres humains. »
Cette fois, la personnalité était le comédien Clovis Cornillac et la communauté qui l’accueillait, un village de l’ethnie Miao dans la région montagneuse de Guizhou au sud de la Chine. Le téléspectateur est émerveillé par la beauté naturelle du site, le village ramassé au faîte d’un piton rocheux, les arrondis des cultures en terrasse, le contraste du vert des rizières et celui des forêts. Il est touché par la beauté simple des personnes, par l’élégance du vêtement des femmes, par la grâce de leurs sourire. Il est ému par la qualité de la relation qui se noue entre Frédéric et Clovis, emblèmes de la société occidentale qui valorise la vitesse et le succès, et ces paysans attachés à leur terre.
Le reportage ne cache pas les misères de la vie dans ce village qu’on pourrait faire passer pour un paradis : les jeunes veuves obligées de se remarier et d’abandonner les enfants nés du premier mariage ; les enfants qu’on ne voit pas parce qu’ils passent leur semaine dans un internat, dans la vallée ; le recours aux pesticides, pour obtenir des rendements de riz plus importants. Ces misères sont racontées sur le ton de la confidence par les habitants de ce village, pour des millions de téléspectateurs français.
La grande réussite de cette série de reportages est de donner au téléspectateur l’illusion qu’il est invité à se faufiler dans un cercle intime où les seuls étrangers admis sont Frédéric et Clovis et que toutes les conversations sont spontanées. Or, les deux étrangers sont précédés, environnés et suivis, d’une armée de personnes chargées du repérage, de la négociation des conditions, de la logistique, de la prise de vue et de son, du pilotage de drone, de la traduction.
La traduction (probablement indirecte, du miao au mandarin puis au français) est un sujet particulièrement critique : on a l’impression, quand un villageois s’exprime, qu’il a immédiatement compris ce que lui demande son interlocuteur français et qu’il répond du tac au tac. En réalité, chaque séquence « spontanée » est certainement jouée plusieurs fois, ce qui permet de créer l’illusion d’une immédiate connexion entre les personnes. Le choix des voix de doublure accentue le sentiment d’authenticité.
Steve Jobs, parlant des produits d’Apple, expliquait que le plus complexe en électronique était de faire des produits qui apparaissent intuitifs et simples. « Rendez-vous en terre inconnue » applique ce principe à la télévision : créer le ton de la confidence requiert le recours à des moyens lourds et intrusifs. Nous avons l’illusion d’entrer dans l’intimité des Miaos, mais cette intimité est fabriquée ; inversement, Frédéric et Clovis conservent entre eux le vouvoiement, alors qu’il ne fait aucun doute qu’ils se tutoient dans la vie.
Au début du film, Frédéric propose à Clovis de l’embarquer à la rencontre de personnes qu’il n’aurait jamais l’occasion de rencontrer spontanément. J’ai réalisé que telle est la proposition qui m’a été faite lorsque je suis entré à l’association nationale des visiteurs de prison : rencontrer des hommes et des femmes appartenant à une culture totalement étrangère à la mienne. Cette rencontre ne m’emmène pas dans un décor naturel merveilleux, mais dans l’espace confiné et gris d’un parloir. Elle ne se limite pas à deux semaines, mais peut durer des mois ou des années. Elle n’a pas pour cadre une intimité fabriquée par la télévision, mais une relation de personne à personne.