Quarante cinq ans après ma première rentrée en « fac », je viens d’intégrer la première année de licence en langues et civilisations arabe.
Je suis en train de réaliser un rêve vieux des années mille neuf cent soixante dix. Coopérant à Alger, j’avais appris l’arabe dialectal pour communiquer avec mes élèves. Je m’étais promis d’apprendre sérieusement l’arabe littéral lorsque j’aurais le temps. Depuis quelques mois, le temps est bien rare dont je dispose abondamment. Je me suis inscrit à l’université en première année de licence d’arabe.
A l’automne 1968, j’avais commencé une licence en sciences économiques. Les temps ont changé. Du côté positif, le souci d’accueillir les étudiants par une journée de visite de l’université sous la tutelle d’étudiants en années supérieures ; l’insistance mise sur les à-côtés de la formation universitaire, sport, activités culturelles, engagement associatif, qui peuvent apporter à ceux qui les pratiquent des points supplémentaires aux examens ; et surtout, le passage réussi à l’ère numérique. Les plannings sont maintenant gérés par ordinateurs et consultables par smart-phones et tablettes. Mais le point le plus frappant est l’accès possible à un stock d’informations numérisées impensable à l’époque où nous nous contentions de polycopiés et de livres imprimés.
Du côté négatif, le premier cycle universitaire s’est rapproché du lycée : présence obligatoire, bonnes ou mauvaises notes, menaces… L’époque où nous désertions en masse un partiel parce que le professeur nous traitait en gamins est bien révolue : le vrai-faux jeune étudiant que je suis aujourd’hui doit faire contre mauvaise fortune bon cœur et transformer l’infantilisation subie en doux retour à l’état d’enfance. Le point le plus négatif, me parait-il, est l’absence de travail collectif. Le premier cycle universitaire semble ne s’intéresser qu’à des individus. L’université a peut-être laissé aux écoles de commerce l’apprentissage du travail en collaboration, qui est pourtant une caractéristique de la « Wikinomics », l’économie mondiale des ressources partagées.
Mes condisciples sortent pour la plupart du lycée. Ce sont en grande majorité des femmes, dont la moitié est dûment voilée. Venant de Grande Bretagne, où des fonctionnaires portent voile ou turban, cela ne me choque pas. Le fait est que, quel que soit l’habillement, les personnalités se révèlent assez vite. Il y a ceux et celles qui sont extravertis et cherchent le contact ; les intellectuels et intellectuelles, sérieux, appliqués, posant des questions ; les étudiants et étudiantes réservés, peut-être intimidés, peut-être déjà distancés dans les apprentissages, qui limitent leur exposition.
Les motivations de mes camarades sont multiples. Un petit nombre a clairement une orientation religieuse et missionnaire : pour eux, obtenir un diplôme universitaire facilitera la propagation de la foi musulmane. Pour d’autres, qui parlent arabe à la maison, c’est une manière de faire fructifier leur capital-langue et de l’utiliser demain dans les affaires ou l’enseignement. D’autres préparent un concours administratif, ou apprennent l’arabe en combinaison avec l’anglais comme « langue étrangère appliquée ».
Je ne sais où cette aventure va me mener, en termes de compétences, de relations ou d’opportunités. Bien que l’emploi du temps – une vingtaine d’heures de cours par semaine – soit lourd, je ne la regrette pas à ce stade.
One comment
Pierre-Yves
11 octobre 2013 at 22h52
Une moitié des étudiantes voilées! c’est beaucoup …il y a dix ans, quel était le pourcentage? Je m’interroge sur les raisons de cette progression.Affirmation d’identité ou interprétation contestable?
Cela dit, on oublie qu’ avant Vatican II les bonnes soeurs portaient costume et coiffe. En propédeutique, ma voisine portait uniforme et coiffe. Cette pratique dans l’enseignement supérieur ne posait aucun problème. Il est vrai que le catholicisme avait cessé de faire peur aux républicains.