Réparer les Vivants

Le bouleversant roman de Maylis de Keragal, « réparer les vivants » (Verticales, 2014), raconte le prélèvement d’organes sur le corps d’un jeune homme décédé dans un accident de voiture et les abîmes qui s’ouvrent sous les pas de ses proches.

A un premier niveau de lecture, le livre décrit une procédure chirurgicale avec une précision clinique. Comment Simon Limbres, 19 ans, est déclaré en état de mort cérébrale. Comment le médecin réanimateur et l’infirmier coordinateur des prélèvements d’organe cherchent à obtenir le consentement de ses parents à ce que ses reins, ses poumons et son cœur soient prélevés de son corps et greffés dans le corps de malades dans plusieurs villes de France.140211_Reparer_les_vivants

Comment une cellule à Paris identifie, à partir d’un fichier des receveurs et des informations reçues sur le donneur, les receveurs les plus compatibles avec Simon. Comment des équipes chirurgicales s’envolent vers Le Havre, où est hospitalisé Simon. Comment les organes sont prélevés, placés dans des conteneurs réfrigérés, envoyés aux hôpitaux où les greffes seront pratiquées. Comment à Paris, Claire Méjan, cinquante ans, se prépare à recevoir le cœur de Simon.

 Ce qui rend le livre profondément émouvant, c’est l’humanité de ses personnages. Simon lui-même, passionné de surf, victime d’un accident en revenant d’une session près du Havre, un froid dimanche matin d’hiver. Le chirurgien Pierre Révol, l’infirmière Cordélia Owl, l’infirmier coordinateur Thomas Rémige, tous passionnés par leur métier, vivant chacun une grande passion dans la vie. Les parents de Simon, Marianne et Sean, séparés depuis deux ans mais qui se trouvent soudain engloutis ensemble dans un malheur indicible. Juliette, l’amie de Simon, Lou, sa petite sœur. Et Claire, à qui la greffe du cœur de Simon offre l’opportunité d’une nouvelle vie.

 La possibilité de greffer des organes est née d’un changement dans la définition de la mort, acté en 1959. C’est désormais l’arrêt des fonctions cérébrales qui déclenche le constat de décès, et non plus l’arrêt du cœur ou l’absence de souffle. Les organes vitaux peuvent, grâce à des machines, continuer à fonctionner.

 « Révol est exsangue. Il a annoncé la mort de leur fils à cet homme et à cette femme, ne s’est pas raclé la gorge, n’a pas baissé la voix, a prononcé les mots, le mot « décédé » et plus encore le mot « mort », ces mots qui figent un état du corps. Mais le corps de Simon Limbres n’était pas figé, c’est bien là le problème, et contrevenait par son aspect à l’idée que l’on se faisait d’un cadavre car, enfin, il était chaud, l’incarnat vif, et il bougeait au lieu d’être froid et immobile… »

 « Combien de temps sont-ils resté de la sorte après l’annonce, affaissés au bord de leurs chaises, pris dans une expérience mentale dont leur corps jusque là n’avait pas la moindre idée ? Combien de temps leur faudra-t-il pour venir se placer sous le régime de la mort ? »

 Le titre du livre est une citation de Platonov, de Tchékhov : « Que faire ? Enterrer les morts et réparer les vivants. »

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