Il est incontestable que le Conclave réuni pour élire le successeur du pape démissionnaire se déroule dans un climat de crise de l’Eglise Catholique. Pourtant, celle-ci fait preuve d’une étonnante résilience.
Les symptômes de la crise de l’Eglise Catholique sont manifestes, en particulier en Europe : vieillissement du clergé, chute de la pratique religieuse, scandale des prêtres pédophiles, inadéquation du discours sur la sexualité, cantonnement des femmes à des rôles mineurs, etc. La foi chrétienne elle-même est en question, pas seulement à cause de la culture individualiste, matérialiste et hédoniste que les papes Jean-Paul II et Benoît XVI n’ont cessé de fustiger, mais aussi parce que l’existence même d’une vérité divine et définitive révélée il y a vingt siècles heurte la raison.
Pourtant, l’Eglise est résiliente. Un mariage dans une magnifique collégiale gothique. Une assemblée de plus de deux cents personnes donnant comme un seul homme la réplique aux célébrants, récitant le credo avec conviction et chantant les hymnes avec ardeur. Une chorale polyphonique d’une trentaine de personnes accompagnées à la guitare. Une violoncelliste, un organiste, une cantatrice. Des demoiselles d’honneur et des enfants de chœur. Un prédicateur qui lit son homélie sur son ordinateur portable, qu’un maître de cérémonie porte avec la même componction qu’une Bible enluminée. Des chants composés récemment, imprégnés d’Ancien Testament. Les jeunes mariés agenouillés pour la prière eucharistique. L’encens répandu sur l’autel, sur les célébrants, sur les jeunes époux et sur leurs familles. Le baiser de paix, fraternel et joyeux.
Ces chrétiens là appartiennent à l’élite de la société. Ils regardent avec un détachement presque amusé les dinosaures de la Curie : l’Eglise est humaine et faillible. Ils ne se sentent pas liés par les instructions romaines sur la chasteté avant le mariage ou le préservatif. Ils considèrent l’Eglise comme leur famille et jugent avec indulgence les cardinaux à qui il arrive, en hommes âgés qu’ils sont, de radoter. Cette famille leur donne un cadre, dont ils entendent faire profiter aussi leurs enfants. Dans ce cadre, ils s’entraînent à devenir meilleurs. Sur les traces de Saint Ignace, ils pratiquent des exercices sous la direction d’un directeur spirituel dont le rôle est voisin de celui qu’on désigne aujourd’hui sous le nom de « coach ». L’Eglise est pour eux une école d’excellence qui affûte leur sens de la beauté, accroît leurs exigences éthiques et les habitue à conjuguer le texte révélé au contexte de leur vie.
J’ai suivi pour ma part un chemin différent. Je ne me sens plus solidaire d’une institution qui tient les femmes en lisière, s’arcboute sur des dogmes et est gouvernée selon le principe de la monarchie de droit divin. Après le Concile Vatican II, l’Eglise avait l’occasion de se transformer de l’intérieur. Tournant le dos à une approche dogmatique, elle aurait porté un poème épique de libération, insufflant aujourd’hui le souffle d’un Evangile écrit il y a deux millénaires. Cette Eglise aurait été pauvre, humble, respectueuse des autres croyances et incroyances. Cette occasion a été ratée, et l’histoire ne repassera pas les plats.
Il reste que l’Eglise Catholique, si elle traverse sans conteste une crise sévère, n’est pas morte. Elle inspire encore des communautés vivantes.