Le Journal of Economic Perspectives, magazine de l’American Economic Association, a publié récemment un article de deux économistes qui démontre, à partir de données collectées dans 55 pays, que plus d’immigration n’entraîne pas plus de criminalité.
Les chercheurs sont Olivier Marie, qui enseigne aux Pays-Bas dans le domaine de l’économie du travail, et Paolo Pinotti, spécialiste de l’analyse économique du crime à l’Université Bocconi de Milan.
Dans presque tous les pays, une bonne partie de l’opinion publique est convaincue d’un lien causal entre l’immigration et la criminalité. Ainsi en France, plus d’un tiers des personnes interrogées se disent d’accord avec l’affirmation selon laquelle « les immigrants augmentent le crime ; une personne sur cinq seulement croit que « les immigrants augmentent le chômage ». En Grèce, les deux tiers des personnes interrogées croient que l’immigration provoque plus de crimes – et aussi plus de chômage.
Or, si on trace pour 55 pays (graphique ci-dessus), une courbe représentant l’évolution entre 1990 et 2020 du pourcentage de migrants dans la population d’une part, le taux d’homicides pour 100 000 habitants d’autre part, le résultat est clairement opposé à l’opinion commune : à plus d’immigration correspondent moins d’homicides.
L’opinion commune se fonde en bonne partie sur la surreprésentation des migrants dans les prisons et, plus généralement dans les procédures pénales. En moyenne, pour tous ces pays, leur part dans la population carcérale est deux fois plus élevée que dans la population générale. Les raisons sont multiples : les jeunes hommes sont plus nombreux parmi les migrants, et on sait qu’ils sont plus enclins à la délinquance ; les forces de l’ordre tendent à les contrôler plus souvent, et les juges à les emprisonner davantage, en particulier en détention provisoire.
La statistique croisée des migrants et de la criminalité bouscule l’opinion commune, le « bon sens ». Mais elle ne permet pas d’établir une causalité. Les chercheurs ont donc travaillé sur ce qu’on nomme en économie « l’élasticité ». Quelle variation dans la quantité de crimes une quantité additionnelle de migrants provoque-t-elle, en plus ou en moins ? Leur étude a porté sur les atteintes à la propriété et aux personnes, dans cinq pays, Chili, États-Unis, Italie et Royaume-Uni, en partie parce que la politique d’immigration y a connu d’importants changements (entrée de pays d’Europe de l’Est dans l’Union Européenne, régularisation de migrants, etc.).
Le résultat est clair. Dans ces cinq pays, l’arrivée de migrants n’a pas provoqué une hausse significative de la criminalité et de la délinquance. Il faudrait certes entrer davantage dans le détail, et distinguer les migrants dotés d’un permis de séjour et de travail, et ceux qui ne subsistent qu’au moyen d’activités illégales. Parmi les hypothèses expliquant le décalage entre les résultats statistiques et l’opinion publique, les chercheurs évoquent le rôle des médias, prompts à dénoncer les crimes commis par des étrangers n’appartenant pas à la culture occidentale. Ils soulignent que la population immigrée d’un pays ne dépasse généralement pas 5 à 15%, ce qui dilue fortement l’effet statistique de comportements dans les communautés immigrées. Ils émettent enfin une curieuse hypothèse ; des immigrés sans papiers substitueraient des nationaux dans des activités illégales, de sorte que leur implication dans les délits ou les crimes passerait sous le radar de la statistique.
Il me semble que le décalage de la perception par l’opinion publique et la réalité des chiffres s’explique aussi par ce qu’on met sous le mot « migrant ». Pour les statisticiens, il s’agit de personnes nées à l’étranger. L’opinion publique y inclut aussi leurs descendants de la deuxième ou troisième génération. La problématique est différente. Les frustrations accumulées en raison des discriminations persistantes et de la difficile intégration peuvent pousser des jeunes à décrocher, à renoncer à mener une vie « normale », à se trouver embarqués dans la délinquance.
« Transhumances » a publié il y a deux ans un article intitulé « immigration = délinquance ? », dont les conclusions rejoignaient celles des chercheurs Olivier Marie et Paolo Pinotti.