Rien n’est noir

Dans « rien n’est noir », Claire Berest raconte la vie de la peintre mexicaine Frida Kahlo (1907 – 1954) comme un roman.

« J’ai été victime de deux terribles accidents dans ma vie, Diego, le premier c’est le tramway. L’autre c’est quand je t’ai rencontré. » Le tramway est celui qui a percuté l’autobus où voyageait la jeune Frida, alors âgée de 18 ans : vagin perforé par une barre d’appui, jambes et colonne vertébrale fracassées. La rencontre est celle de Diego Rivera, qu’elle épouse deux ans plus tard.

Peintre de renommée mondiale, Rivera a 21 ans de plus que Kahlo. C’est un colosse, un coureur de jupons déjà marié plusieurs fois. Frida l’aime d’un amour inconditionnel. « J’aimerais te peindre, mais je manque de couleurs – tant il y en a ! » dans ma confusion. La forme concrète de mon grand amour », lui écrit-elle en 1953. « Le problème, c’est que Diego veut être aimé du monde entier et du siècle. Et toi, Frida ? Moi, je veux être aimée de Diego Rivera ».

Cet amour, toutefois, n’implique pas la fidélité. Comme son mari, Frida multiplie les amants, hommes et femmes. Parmi eux, Léon Trotski, accueilli chez elle dans son exil. Ils font l’amour. « Trotski regarde cette femme encore alanguie, seins au vent, maîtresse absolue de ses sens, indécente séductrice percluse de douleurs insondables. »

Frida compense par un excès de provocations et d’alcools le supplice permanent de son corps. Alors qu’elle est enceinte, Diego la met en garde contre le risque de fausse couche. « Tu parles de mon corps comme d’un objet détaché de moi. Une charge. Mais c’est moi ce corps, c’est ce que je suis. »

La peinture constitue une manière de se maintenir en vie, malgré tout. Contrairement à ce que pense André Breton, que Frida déteste, elle « ne peint pas ses rêves, ni son inconscient, elle peint une nécessité intérieure. La vérité du désarroi. » Et Claire Berest donne cette définition de l’art de Frida Kahlo : « Un visage et un corps sans mouvement, sans perspective, figé, accroché dans un décor, une femme pétrifiée telle une poupée qui ne peut pas marcher. Une douleur latente qui empêche toute évolution. Pas un geste vers le monde, juste ce visage comme un exorcisme. »

Le livre de Claire Berest est violent, comme fut la vie de Frida Kahlo elle-même. Il est fidèle à la chronologie, utilise largement le journal et la correspondance de Frida ainsi que le témoignage de proches. Mais il revendique la qualification de « roman », tant la vie de son héroïne est romanesque. Un roman tout en couleurs, du bleu de cobalt au rouge sang et au gris cendres. Mais, dans ce roman, rien n’est noir.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *