S’adapter

« S’adapter », roman de Clara Dupont-Monod (2021) décrit l’impact sur les enfants d’une famille de l’arrivée d’un frère « inadapté ». Pour cet ouvrage, l’autrice a reçu le Prix Femina, le prix Landerneau des lecteurs et le prix Goncourt des lycéens

« Un jour, dans une famille, est né un enfant inadapté. Malgré sa laideur un peu dégradante, ce mot dirait pourtant la réalité d’un corps mou, d’un regard immobile et vide ». Ainsi commence le livre. Pour l’aîné, âgé de 10 ans quand naît « l’enfant », comme pour sa cadette deux ans plus jeune, il faudra s’adapter.

« Les deux autres enfants, écrit Clara Dupont-Monod, ne comprirent pas tout, sauf qu’une force dévastatrice, qu’ils ne nommèrent pas encore chagrin, les avait propulsés dans un monde coupé du monde. Un lieu où leur jeune sensibilité s’écorcherait sans que personne les aide. »

L’aîné est tout entier aspiré par « l’enfant », dont l’âme « ignorait, de façon absolue, la cruauté (…) L’aîné comprenait qu’il tenait là l’expérience de la pureté. » Il vit avec lui une expérience fusionnelle. Puisque son petit frère inadapté ne percevait que par l’ouïe, il se met avec lui à l’écoute de cette vallée cévenole où était construite la maison, de la rivière, de la montagne. « C’était un langage des sens, de l’infime, du silence, quelque chose que l’on n’enseigne nulle part ailleurs. »

La cadette, au contraire, est révoltée. « Dès sa naissance, elle lui en a voulu (…) Elle n’éprouvait aucune tendresse. Ce qu’elle voyait d’abord, c’était une marionnette toute pâle qui demandait les soins d’un éternel bébé (…) L’enfant l’isolait. Il traçait une frontière invisible entre sa famille et les autres. » Adolescente elle décide de sauver sa famille de la noyade.

« Sur sa famille, la cadette bâtirait des contreforts. Pour y parvenir, il fallait établir une stratégie. Elle acheta un carnet pour lister les questions et trouver des solutions (…) (Elle) écrivait dans son carnet des sujets de conversation qu’elle apprenait par cœur pour les lancer avec sa mère ou à table (…) Les mois passèrent. Elle était devenue une bête de performance, agissant vite, économisant ses mots, hermétique aux états d’âme. »

Un quatrième enfant naît, après que « l’enfant » est mort à l’âge de dix ans. Lui aussi doit s’adapter. Est-il le quatrième, ou bien le perpétuel troisième ? « Le dernier n’avançait pas seul. Il le savait. Il était né avec l’ombre d’un défunt. Cette ombre ourlait sa vie. Il devrait faire avec. » Ses parents disent de lui qu’il est un sorcier. Il partage avec son frère disparu, « l’enfant », l’immersion dans la nature : « avec le temps, il devint de plus en plus sensible. Les couleurs de la montagne faisaient naître en lui des poèmes insensés ».

« S’adapter » est un livre magnifique, emprunt de poésie et de profondeur humaine. J’ai été sensible à la connexion de la cadette avec le Portugal. Sa grand-mère a ramené, d’un voyage dans ce pays, une recette de gaufre à l’orange qui traverse le roman. Devenue adulte, la cadette vit à Lisbonne et y fonde une famille. Elle pratique la langue portugaise, dont « elle aimait la tessiture ronde et étouffée (…) C’était une langue de repli. » Une langue adaptée à une combattante retranchée dans la protection des siens.

Clara Dupont-Monod

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